Christian Escriva, le Gattilier et l’approche sensorielle: histoires de lavandes  (2/3)

Maintenant que vous avez mieux saisi le concept de l’approche sensorielle (voir ici), je vous prĂ©sente dans ce deuxiĂšme article les diffĂ©rentes lavandes les plus connues: lavande vraie ou officinale, aspic, lavandin et lavande stoechas sbsp. luisieri.

Différences botaniques entre les différentes lavandes

Histoires de lavandes 

Petit prĂ©ambule : le « gĂ©nie de la plante Â» – Lavande vraie VERSUS thym

Christian Escriva prend en exemple la dynamique de la lavande et du thym. Deux plantes de la mĂȘme famille botanique mais dont le « geste Â» est diffĂ©rent.  

Le thym porte son huile essentielle. Si elle est lessivĂ©e par la pluie, il n’en refait pas. La lavande officinale a une dynamique plus lente. Si elle est soumise Ă  la pluie quelques heures puis au soleil dans la foulĂ©e, l’huile essentielle remonte. La lavande la reproduit. Ce sont des phĂ©nomĂšnes Ă  rattacher au « gĂ©nie de la plante Â»

La lavande est gĂ©nĂ©reuse, elle se trouve dans un espace de lenteur et de profondeur. Elle est constituĂ©e d’esters. Pour Christian Escriva, le gĂ©nie de la lavande est tel un « dĂ©gagement de la pensĂ©e Â» autrement dit un apaisement des pensĂ©es et des Ă©motions. Le thym, lui, est plus impulsif : il est constituĂ© d’alcools et de phĂ©nols

Lavande officinale (Lavandula angustifolia)

Lavande officinale et altitude

Les lavandes officinales se trouvent Ă  plus haute altitude sur sols calcaires (800 mĂštres et plus). Leur dominante sont les esters et alcools monoterpĂ©niques (linalol, terpinĂšne-4-ol…). Plus on monte vers la lavande officinale, plus l’arĂŽme s’affine. Les effets sur le systĂšme nerveux sont de plus en plus fins (les esters ont un tropisme neurotrope).

Cependant, plusieurs facteurs entrent en jeu dans ce phĂ©nomĂšne : l’altitude, l’exposition des stations (lisiĂšre de forĂȘt, dĂ©gagĂ© ?), la nature du sol dans lequel les plantes s’épanouissent (argileux, calcaire, siliceux ?), chaleur, humiditĂ©, etc. Ce n’est donc pas une science exacte. 

Christian Escriva ajoute que « l’altitude est un gage de qualitĂ© quand mĂȘme Â».

Lavande officinale: cueillette et soleil

En station sauvage, les pieds sont tous diffĂ©rents : petits, grands, vert clair, foncĂ©, Ă©pis longs, courts, fleurs de diffĂ©rentes couleurs. La morphologie diffĂšre Ă©normĂ©ment. Et chaque pied a une odeur diffĂ©rente. Il s’agit pourtant toujours de lavande. Dans une distillation bien menĂ©e, nous retrouverons donc la reprĂ©sentation de la montagne oĂč elle pousse. 

Cueillette lavande vraie sauvage en altitude – Photo LavandulabyNitya

Par ailleurs, la pĂ©riode de cueillette en altitude (1700-2000 m) est primordiale. La lavande Ă  ces altitudes fleurit plus tard vers mi-aoĂ»t. Cette floraison est concomitante aux orages de fin d’étĂ©. Les stations de lavande officinale peuvent donc ĂȘtre lessivĂ©es par de trop grosses pluies et les huiles essentielles disparaĂźtre (la pluie d’orage oxyde les esters constitutifs de la lavande). 

Station de lavande vraie sauvage 1500 m d’altitude – Photo @LavandulabyNitya

De mĂȘme, une autre complication s’immisce : l’ensoleillement de la saison. La lavande mĂ»rit bien ou moins bien selon la dose de soleil reçue. Il y a donc un risque pour le cueilleur : celui de ramasser trop tĂŽt pour ne pas perdre la rĂ©colte (pour Ă©viter les orages). Cela pourrait conduire Ă  une qualitĂ© moindre car l’huile essentielle se sera moins exprimĂ©e. 

L’idĂ©al pour cueillir la lavande officinale est quand elle est devient grisĂątre: cela voudrait dire que son «expression chimique est arrivĂ©e Ă  sa plus fine expression Â». 

Lavandin (Lavandula x hybrida) 

Les Lavandins sont prĂ©sents sur sols calcaires (600-700 mĂštres), et marquent la transition entre la Lavande aspic et la Lavande officinale. 

A cette altitude, les plants sont bizarres :  leur odeur rappelle soit la lavande aspic ou la lavande officinale. On parle d’hybridation naturelle, les abeilles rĂ©alisant ces croisements. Le rĂ©sultat de ce mĂ©lange s’appelle donc lavandin.

Lavandin : histoire de CLONAGE 

Les lavandins sont souvent des clones. L’impact du clonage devient une question rĂ©currente selon Christian Escriva. Les labels aujourd’hui tels DĂ©meter ou Nature & ProgrĂšs sont trĂšs bien pour les critĂšres de l’agriculture biologique, DĂ©meter Ă©tant le plus pertinent. Cependant, sur le clonage, aucun de ces labels n’apporte de vĂ©ritable solution ou de cadre. La majoritĂ© des thyms par exemple sont clonaux quand ils sont cultivĂ©s (Nitya, le fils de Christian Escriva, cultive du thym Ă  thujanol mais issu de graines de plants sauvages, on parle donc de culture de population).

Comment procĂšde-t ’on au clonage ? Une analyse chimique est faite pour chaque pied. Selon un critĂšre arbitraire (qui pourrait ĂȘtre le plant qui contient le plus d’acĂ©tate de linalyle), un plant sera donc « Ă©lu Â». Il est ensuite aisĂ© de le reproduire en laboratoire, de le multiplier, de le bouturer. Bref, de le reproduire en de multiples autres plants. Il est donc tout Ă  fait possible de crĂ©er un champ artificiel dans lequel chaque pied est strictement identique. C’est ainsi qu’un Monsieur Grosso aura rĂ©alisĂ© un clonage de plant sauvage de Lavandin que nous connaissons aujourd’hui sous le nom Lavandin Grosso. En ce qui concerne les lavandins Super et Abrialis, voici d’autres exemples de plants multipliĂ©s et reproduits Ă  des milliers d’exemplaires. 

Le lavandin ayant un rendement en huile essentielle plus Ă©levĂ© que ses cousines officinale et aspic, il Ă©tait donc tentant de le reproduire Ă  grande Ă©chelle. Cependant, au niveau olfactif, on note que le lavandin marque une transition. 

Lavande aspic (Lavandula latifolia)

Elle se trouve sur sols calcaires, Ă  altitude moins Ă©levĂ©e (400-600 mĂštres) que ses cousines officinale et lavandin. La Lavande aspic, principalement Ă  1,8 cinĂ©ole et camphre, a donc une odeur dĂ©jĂ  un peu plus terrienne, moins Ă©levĂ©e. Elle est moins aĂ©rienne que l’officinale, plus « rude, bourrue, rĂąpeuse Â». Elle pousse sur des collines mĂ©diterranĂ©ennes chaudes, rocailleuses et ensoleillĂ©es. Son arĂŽme Ă©voque cette ambiance « contractĂ©e et austĂšre Â».

Les lavandes : un monde à part entiÚre

Pour rĂ©sumer sur cette succession montagnarde de lavandes, ce monde Ă  part entiĂšre, l’Approche sensorielle permet de saisir ce continuum. De plus, il est possible de noter les diffĂ©rences botaniques, notamment des critĂšres visuels sur les bractĂ©es ainsi que la taille des feuilles. Mais, je vous l’accorde, faire la diffĂ©rence de maniĂšre visuelle n’est pas aisĂ©e !

Pour finir cette prĂ©sentation des lavandes (non exhaustive), j’aimerais nĂ©anmoins Ă©voquer encore une derniĂšre lavande Ă  laquelle j’aimerais rendre hommage : l’espĂšce Lavandula stoechas mais surtout la sous-espĂšce luisieri.

Lavande luisieri (Lavandula stoechas subsp. luisieri)

La lavande luisieri (vous pourrez aussi la trouver sous le nom de Lavande SĂ©ville) est une sous-espĂšce de la Lavandula stoechas, communĂ©ment nommĂ©e la lavande papillon (cantueso, ici en Espagne). Vous savez, elle a comme des petites oreilles toute mauves au-dessus de l’épi floral, ou des petites ailes, un peu selon ce que chacun imagine !

Inflorescence de lavande stoechas avec ses ailes

La lavande luisieri se trouve Ă  basse altitude sur les sols argilo-sableux du sud de l’Espagne (plutĂŽt Andalousie). Son huile essentielle est tout Ă  fait intĂ©ressante et possĂšde de nombreuses indications thĂ©rapeutiques. C’est Antonia Jover qui l’a fait connaĂźtre en Espagne, grand bien lui en a pris, mĂȘme si c’est en France qu’elle l’a dĂ©couverte. Comble de l’histoire. Je vous le lien vers son article (en espagnol) dans lequel elle nous prĂ©sente cette jolie huile de Lavande stoechas sbsp. luisieri. 

Vous voyez sur les photos suivantes que la lavande luisieri a un pĂ©doncule trĂšs court. Je remercie Antonia Jover qui m’a gentiment fourni les photos.

Elle ne ressemble Ă  aucune autre espĂšce de lavande. Ses notes sont tout Ă  fait Ă©tonnantes. Antonia Jover les dĂ©crit ainsi : « l’odeur est caractĂ©risĂ©e par une odeur de cinĂ©ole (note de tĂȘte) et ensuite apparaissent des notes de miel, de fruits, de poire, de cerise, de confiture ou de rĂ©glisse. La note de fond est ambrĂ©e, chaude et animale, qui rappelle le labdanum ou l’encens Â». 

Pour finir avec l’espĂšce Stoechas, je souhaite simplement nommer la Lavandula stoechas sp. pedunculata qui est celle que l’on rencontre dans la Sierra aux alentours de Madrid. Comme son nom l’indique, l’épi floral surmonte un long pĂ©doncule. 

Ce deuxiĂšme volet touche Ă  sa fin. Comme vous l’aurez lu, le monde des lavandes est beaucoup plus complexe qu’on ne pourrait l’imaginer. Nous ne faisons d’ailleurs que mentionner des gĂ©nĂ©ralitĂ©s. Mais vous saurez dĂ©sormais qu’une huile essentielles d’une lavande ne fait pas l’autre !

Dites-moi en commentaire : que vous inspire la lavande ?

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2 Replies to “Christian Escriva, le Gattilier et l’approche sensorielle: histoires de lavandes  (2/3)”

  1. j’aurais aimĂ© qu’on dĂ©veloppe plus le lavandin super par rapport aux autres hybrides tels que le lavandin Grosso et Abrial

    1. cher Didier, oui tu as tellement raison ! Je me le note pour un futur article 🙂 merci pour ton retour, bises

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