La semaine dernière, je publiais mon premier article de cette série dédiée à Annick, productrice d’huiles essentielles sur son domaine de Manaraha, situé en brousse, à Madagascar. L’aventure continue dans ce deuxième opus. Cette fois, nous verrons comment Annick est devenue productrice en brousse tout comme les circonstances qui l’ont ramenée sur ses terres et les difficultés auxquelles elle est confrontée dans son quotidien.
Je précise que tout ce qui est écrit ci-dessous a été relu par Annick. Je n’invente rien, tout est authentiquement sorti de sa bouche. J’attire votre attention sur le fait que, depuis lors, la situation est loin de s’être améliorée à Madagascar selon les retours d’Annick. Cela laisse imaginer le chaos actuel.
2. Domaine de Manaraha (Madagascar)
2.1. Enfance en brousse
Annick a passé son enfance en brousse sur le domaine de Manaraha. « Mes grands-parents et parents y cultivaient le café. Mais ils ont tellement souffert des aléas et des hauts et bas du marché que j’ai renoncé à en faire la culture ». Néanmoins, elle en a quelques centaines de pieds tout de même pour sa consommation personnelle.
On reviendra sur le café dans le troisième article.
2.2. Annick quitte Madagascar et Manaraha
2.2.1. Phytothérapie malgache
Annick a quitté Madagascar et les terres de Manaraha l’année de ses 17 ans. Changement d’ambiance et de décor. En France, elle s’est intéressée aux plantes malgaches et a fait la connaissance de Madame Lucile Allorge Boiteau. Cette dernière (récemment décédée), Docteur ès sciences botaniques et Membre titulaire de l’Académie nationale des arts, des lettres et des sciences de Madagascar, a rédigé plusieurs ouvrages sur les plantes de Madagascar. Petit à petit, Annick s’est formée à la phytothérapie et a été invitée à tenir des conférences sur les plantes malgaches. Sa rencontre avec Didier Ramiandrasoa marquera son orientation vers l’aromathérapie.
2.2.2. Huiles essentielles de Manaraha
A la mort de son père en 2005, Annick a repris la plantation (depuis la France où elle vivait) dans une optique de valoriser les terres. C’est alors que commence la production d’huiles essentielles à Manaraha. La production et la plantation étaient gérées par les locaux tandis qu’Annick vendait ses huiles essentielles sur les salons et foires Bio en vente directe à la clientèle finale sans aucun intermédiaire.
2.2.3. Retour sur la plantation de Manaraha
En 2016, Annick décide de retourner à Manaraha pour reprendre la plantation en main. En effet, elle s’est rendu compte que le début de la chaine avait tendance à être négligé.
« Il a fallu que je retourne à Manaraha pour assurer une production constante, remettre en place des process avant de me lancer dans la commercialisation. Il m’est arrivé d’être en rupture de produits et je ne savais pas comment le dire à mes clients ».
2.3. Situation actuelle à Manaraha
2.3.1. Vente aux grossistes : exemple avec le ravintsara
Annick vend l’huile essentielle de ravintsara à des intermédiaires à Madagascar selon la demande et le cours du jour. Les petits producteurs n’ont souvent pas le choix que de procéder de la sorte. « Je ne propose pas de grosses quantités. Les intermédiaires n’ont pas d’exigence en termes de volume. C’est nous qui apportons ce qu’on peut proposer ». A Madagascar, il est permis de collecter chez plusieurs petits distillateurs. « Je ne gagne pas ma vie de cette manière néanmoins cela me permet de payer mon personnel ».
2.3.1.1. Baisse des prix du marché
Néanmoins, « les prix du marché baissent énormément sans aucune raison ou encore moins d’explications. Ce sont toujours les petits producteurs qui s’écrasent car nous n’avons pas le choix. Il faut bien vendre une production pour vivre. Tout est compliqué à Madagascar. C’est notre réalité. Il y a des blocages au niveau des grossistes, des blocages sur l’achat de matières premières aromatiques sur Mada ». Annick rajoute toujours le sourire aux lèvres : « Je ne suis pas ici pour me plaindre mais raconter mon expérience de petit producteur ».
2.3.1.2. Qualité standard et exportable
Une huile essentielle de Ravintsara de qualité standard et exportable suppose des mélanges de plusieurs huiles de qualité très variable issues de toutes origines géographiques de Madagascar confondues. Pour cette vente en gros, Annick fournit donc sa qualité standard de ravintsara issue de sa parcelle estampillée « standard ». Mais, si vous vous souvenez bien, elle sait dans quelle parcelle piocher ! (cf. § 1.1.1.)
Mais tout de même, quelle opacité sur l’origine des huiles essentielles : confier un bidon de 5 litres à un grossiste. Et après ? Et après… tout sera mélangé et homogénéisé dans les conteneurs sans aucune possibilité de traçabilité. Le tout, de qualité exportable, sera envoyé vers l’Europe. Comment faire pour valoriser le travail des petits producteurs directs dans ces conditions logistiques particulièrement difficiles ?
2.4. Commercialisation des huiles essentielles de Manaraha
La vente des flacons à l‘unité est la plus rentable. Néanmoins, l’aromathérapie est encore une niche à Madagascar, la vente en flacon étant réservée majoritairement à l’Occident. « En France, j’avais le plaisir de voir mes clients faire la queue pour acheter mes flacons dans les différents Salons ».
Néanmoins, étant aujourd’hui très loin et quasi isolée, elle est totalement déconnectée de l’aspect commercial. « Je m’occupe de la production et la gestion sociale du domaine : les gens ont besoin de gagner leur vie pour manger. Moi, avec la production sous contrôle, je peux promettre des produits de qualité. Mais reste à trouver comment les diffuser ».
Elle cherche donc des débouchés commerciaux pour diffuser ses huiles en France. Annick a déjà un catalogue de produits et synergies possiblement disponibles. « En France, ma petite clientèle était très engagée. Malheureusement, je ne peux pas être partout ». Le suivi client est impossible à assurer car je rappelle qu’Annick n’a aucune connexion internet en brousse. Il faudrait pouvoir distribuer les huiles dans un réseau constitué de personnes passionnées qui en feraient la promotion tout en créant leur micro-entreprise.
Et puis, je me permets de rajouter : les huiles essentielles de Manaraha, ce sont des histoires avant tout. Ces articles en témoignent !
2.5. Règlementations à Madagascar
Dans ce chapitre, je vous livre certains aspects réglementaires qui illustrent parfaitement l’imbroglio auquel elle se trouve quotidiennement confrontée.
2.5.1. Exportation et importation
La loi sur l’exportation malgache précise ceci :
Jusqu’à 150 ml par huile essentielle (pour une même plante), c’est un échantillon. Soit 15 flacons de 10 ml. Au-delà c’est du commerce.
Ensuite, avant de mettre les huiles en dépôt, il faut les faire sortir du territoire malgache : exporter depuis la grande île tout en important depuis la France. Ces démarches présupposent réglementations et coûts qu’Annick, en l’état actuel des choses, ne peut gérer et assumer.
2.5.2. Statut d’entreprise en France
Troisièmement, pour assurer la vente de ses huiles en France, elle devrait y avoir un statut d’entreprise.
Depuis sa plantation dans la brousse, Annick est loin du cadre règlementaire français. Annick se sent désorganisée et ne sait pas par quel bout attraper le problème. « Je me suis sanctionnée en venant ici mais j’ai fini par en rigoler. Je ne suis pas ici pour me plaindre et je continue mon petit bonhomme de chemin ».
Il faut dire qu’Annick applique les principes du « wuwei » issu du taoïsme ou le fait de suivre le flux naturel des choses sans le perturber, ni tenter de le modifier. Cela me parait particulièrement adapté à la vie d’Annick et d’une grande sagesse. Cela explique aussi l’éternel sourire qu’elle arbore.
2.6. Normes ISO du patchouli
En général, les normes internationales ISO du patchouli se basent sur la provenance de Java, Indonésie, Sumatra, bref d’Asie du Sud-Est. Rien à voir avec le terroir malgache. Pourtant, le patchouli de Madagascar est d’aussi bonne qualité olfactive que l’asiatique. Il ne rentre juste pas dans les normes ISO.
Un jeune négociant français en huiles essentielles console Annick en lui rappelant qu’elle ne produit pas pour les normes. Rester petit producteur permet de se défaire de ces normes ISO et de valoriser sa production. Annick dit : « Je suis productrice, pas biochimiste. J’estime la qualité de mes huiles essentielles aussi selon leur odeur et pureté ».
2.7. Certification ECOCERT
Quand Annick vendait ses huiles sur les salons bio en France, la certification Ecocert était indispensable pour le marché français. Pourtant, il n’y a pas plus bio que des produits issus d’une plantation située au milieu de la brousse. Malgré la récente visite de l’inspecteur Ecocert sur sa plantation, elle a renoncé : « La certification Ecocert coûte 3000 euros ».
Cette certification a-t-elle TOUJOURS raison d’être ? Pour un petit producteur, ce coût est onéreux et non rentable. Combien de flacons faut-il vendre pour amortir ces frais ? Annick dit en riant : « Je ne vais pas bosser pour Ecocert ».
2.8. Plantes endémiques protégées et CITES
Certaines plantes malgaches endémiques sont protégées par le CITES *. Il est donc interdit de les ramasser à la guise. Par ailleurs, le personnel de la douane est formé spécifiquement sur les plantes essentielles de Madagascar.
(*Convention sur le Commerce International des espèces de Faune et de Flore sauvages menacées d’Extinction)
Annick raconte toujours les difficultés auxquelles sont confrontés les producteurs s’ils souhaitent distiller une plante endémique hors terroir (ce qui pourrait être le cas pour le Saro qui se trouve sur la côte ouest).
« Pour pouvoir distiller une huile essentielle issue d’une plante qui n’est pas de notre propre terroir, il faut faire une demande de convention de collecte auprès de l’agence des forêts de Madagascar (en collaboration avec le ministère de l’environnement) pour l’exploitation commerciale de la plante. Cette démarche est effectivement impérative quand on parle de protection et préservation de la nature. Les demandes auprès du service Eaux et Forêts sont étudiées en collaboration avec le CITES et réservées aux endémiques. Et au bout du compte, il faudra verser une ristourne communale (quand on sort de sa propre commune). Néanmoins, sur le terrain, il y a beaucoup d’obstacles pour accéder à la matière. Il n’est pas rare de voir de grosses sociétés, sans autorisation, envoyer leurs collecteurs. Elles remplissent leurs camions et ne sont pas punies par la loi. Ces sociétés produisent quand elles le veulent, ce n’est pas normal ».
Et oui, comme souvent, cette histoire de David contre Goliath se répète.
Complexité du métier de distillateur à Madagascar
Est-ce que cet article vous fait toucher du doigt la complexité du métier de distillateur à Madagascar dans un territoire où tout est opaque ? Et au-delà de cet aspect, cela vous fait-il réfléchir sur la nécessité de se renseigner avant d’acheter une huile essentielle ? Et puis, en règle général, n’êtes vous pas d’accord: la vie d’Annick est digne d’un roman ? Dites-moi ce que vous en pensez en commentaires !
Prochain article prévu: Annick et la vie sur le domaine de Manaraha. Restez connecté(e)s !
« Je reviens rechercher toutes mes terres oubliées » ainsi débute une chanson bien connue dont je viens de recomposer les paroles. Ce fut lors de notre première soirée de la RDP à peine arrivés sur la Grande Ile qui nous mènera vers ANNICK !
Je suis venu surtout témoigner de la véracité des faits que vit ma chère productrice et que j’ai l’intention de défendre à cor et à cri dans la mesure où ce qu’on implante ici sur cette terre bénie des dieux est sacrée et personne n’a le droit de nous souiller. Devenir exploitant agricole ici à MADAGASCAR doit être valorisant : seule la nature impose ses règles et de les respecter n’est que pur bonheur !
Sublime est la science lorsqu’elle se met en synergie avec la spiritualité !
On s’y attèle avec enchantement avec l’octroi d’un premier alambic dont je laisse le soin à Annick de narrer son installation
Transmission oblige
De la part d’un aromatologue malgache chevronné !
Didier, merci pour ton retour. Oui il y a bien des écueils sur la terre « bénie » de Madagascar comme tu dis … Mais je ne comprends pas pourquoi tu parles d’un premier alambic puisqu’Annick en avait déjà. En tout cas Oui, hâte d’en savoir davantage sur la mise en route de l’alambic 1000 litres qu’elle a fait acheminer par route, pirogue et à dos d’hommes …. Elle m’an envoyé des photos: épique. Elle me manque quand elle est en brousse !
Quel courage et ténacité Annick doit elle avoir pour tenir bon! C’est admirable
Oui c’est ce que je pense aussi …. le feu sacré qui coule dans ses veines et un côté Taoïste aussi … Bisous
Admirative je suis !
oui il y a de quoi… sacrée femme hyper résiliente bises Chantal !
Annick… un poème… une ode à la vie..
Et toi, ma fille tu retranscris si bien les belles sensations éprouvées en compagnie de cette personnalité hors norme qu est ce petit bout de femme…
Lecteurs… respectez Madagascar et ses habitants .. ils ont ce petit quelque chose que nous européens n auront Jamais plus..
merci maman pour apporter ton point de vue toi qui sais de qui je parle …. conquise tout comme toi par Annick 🙂