Annick: productrice d’huiles essentielles à Manaraha, Madagascar (3/3)

Dans cette dernière partie dédiée à mon amie Annick, productrice et distillatrice d’huiles essentielles sur sa plantation de Manaraha à Madagascar, je souhaite vous présenter quelques anecdotes issues de sa vie quotidienne. Décidément bien éloignée de nos habitudes occidentales.

3. La vie en brousse

3.1. Gestion sociale sur la plantation

3.1.1.     Madame Annick 

Annick connaît parfaitement le terrain et la mentalité malgache. Pour mener à bien son activité, la gestion sociale sur la plantation doit être menée finement. 

Elle est considérée comme étrange, mystique par les locaux : elle s’isole et ne cherche pas à participer aux cérémonies locales. C’est sa façon de garder de la distance et une certaine aura. Les gens l’appellent « Madame Annick ». Tout un symbole de respect. 

3.1.2.     Production et main-d’œuvre 

Lorsqu’elle prévoit de s’absenter de la plantation, elle doit tout organiser. Elle se voit obligée d’arrêter totalement toute production jusqu’à son retour. 

« Rien que pour attacher le patchouli, je dois être là. Si c’est négligé, il se détache au premier coup de vent. Cela ne sert à rien de payer les villageois pour la récolte si la matière s’envole ensuite. Je préfère être là ». 

Chose ardue que de trouver de la main-d’œuvre compétente en brousse.

« Si je souhaite une qualité aussi bonne que celle pour la France, je dois contrôler toutes les étapes. Pour prétendre proposer de beaux produits à mes clients en France, je ne peux pas tout confier à des locaux en brousse. Ils ne sont pas formés pour produire de la qualité. Depuis la collecte des plantes jusqu’à la récupération de l’huile essentielle, je me dois d’être présente. J’ai déjà eu de mauvaises surprises avec le patchouli qui sentait le brûlé. Trop de condensation ou la constance du feu de chauffe négligée … Mon rôle n’est pas toujours agréable ».

3.1.3.     Piment sauvage ou l’éducation par l’exemple

3.1.3.1.         Flore et faune

Sans télé, sans radio et sans internet, Annick est immergée dans sa plantation. Elle se passionne pour la flore de sa région. Munie de ses jumelles, et de son guide d’ornithologie, elle observe les oiseaux. 

3.1.3.2.         Vol du piment sauvage

Néanmoins, à l’époque où elle est retournée sur ses terres, elle avait remarqué un manque cruel de biodiversité. Il n’y avait pas de chants d’oiseaux lesquels avaient disparu de la plantation. Tout comme le piment sauvage. 

Elle s’est rendu compte que les paysans le cueillaient pour le revendre. Sur le principe, c’est du vol de la propriété d’autrui. Dans cette situation, le profit individuel primait au détriment de la biodiversité du site. La sauvegarde et le respect de l’environnement sont cruciaux à Madagascar. Et pourtant le manque d’éducation est abyssal.

Toujours le même problème : tous les moyens sont bons pour gagner trois sous. Et on peut aussi comprendre les villageois. Ils doivent bien nourrir leurs familles. Toujours et encore de profonds paradoxes. 

3.1.3.3. Mise en jachère des terres

Annick se devait de réagir et de montrer qu’elle était la Maîtresse des lieux. Les terres ont été mises en jachère pendant cinq ans. Parallèlement, elle a prévenu ses employés qu’il était formellement interdit de cueillir les piments. Pourquoi ? Car les oiseaux en ont besoin pour vivre et contribuent à la dissémination des graines de manière naturelle. 

3.1.3.4. Piment sauvage et sauvegarde de la biodiversité

Elle a donc éduqué les locaux en montrant l’exemple et en expliquant : « Si j’agis ainsi, j’en tire un résultat positif pour mon environnement ». Annick précise qu’« elle ne peut pas lâcher la bride sinon les abus recommenceront. Ils doivent me demander la permission de cueillir du piment »

Le résultat de cette main de fer dans un gant de velours : les oiseaux sont revenus contribuant à la sauvegarde la biodiversité. Le piment sauvage pousse à foison sur la plantation de Manaraha.

 3.2. Éclairage en brousse

3.2.1.     Lampe-tempête et batterie solaire

Pas d’électricité en brousse. Annick précise que « l’éclairage de la lampe tempête procure une lumière plus cocooning, alors que les LED des batteries solaires donnent une ambiance froide, fade ». Annick concède« néanmoins, pour lire, les batteries solaires sont tout de même plus pratiques »

A savoir : une batterie solaire est composée d’une batterie et d’une lampe à LED. Cependant, la vie en brousse abîme très vite les batteries. Il faut savoir les démonter, les nettoyer (à l’eau de distillation évidemment) pour les réparer. Tout bon malgache connait le système D.

3.2.2. Eau de distillation

 Annick récupère l’eau de distillation pour laver les batteries solaires. « Je ne la vends pas mais la mets à disposition des villageois et je me douche avec aussi ». L’eau est gardée comme un bien précieux et stockée. « Cette eau distillée aurait une sacrée valeur commerciale en France ». En effet …

3.3. Sécurité en brousse

3.3.1. Le vol sur la plantation

Je vous ai parlé du vol de la cannelle (ici cf. § 1.3.2.) et des deux gardiens embauchés par Annick. Des lianes entières de vanille ont aussi été arrachées avec leurs précieuses gousses. Sans liane, pas de gousses. Du gâchis. Annick craint pour sa sécurité, et cela se comprend. 

3.3.2. Chien de garde 

Annick songe à prendre un chien de garde qui soit adaptable à la vie en brousse. Les conditions de vie sont difficiles et les chiens risquent à tout moment des infections. De plus, un chien nécessite d’avoir « un budget croquette qu’il faudra acheminer à travers la brousse ». Elle ajoute « qu’elle se sentirait plus en sécurité, surtout la nuit ».

En attendant, elle a des lapinous qui gambadent autour d’elle et de temps en temps un gros serpent qui vient la saluer au pied du lit … 

3.3.3. Cultures alternatives : patchouli, basilic tropical et muscade

Pour leurrer les voleurs, Annick a planté des cultures alternatives : patchouli (cf. § 1.4.), basilic tropical Occimum gratissimum (CT eugénol qui permet de compenser la perte des girofliers à la suite des derniers cyclones) et muscade. Les voleurs ne connaissent pas leur valeur et les laisse donc en place. 

3.4. Maladies en brousse 

Les maladies en brousse ne sont pas rares. A son arsenal, elle peut compter sur les huiles essentielles et les infusions de plantes locales ; néanmoins certaines fois, elle ne peut faire autrement « que de prendre en charge les frais liés à la venue du docteur pour mon personnel ».

3.5. Jardin botanique et matériaux végétaux

Annick se crée un petit jardin botanique dans sa vanilleraie avec des plantes à feuillage de toutes les formes et couleurs : « Je veux me faire du bien visuellement ». Elle a arrangé sa petite case en « style nature avec des drapés de tissu, couleur naturelle. Elle aime les « jolies choses et mes rideaux donnent un mouvement perpétuel à mon chalet ».

Sa case est fabriquée à 100 % avec des matériaux végétaux disponibles sur place. Elle lui sert de salle à manger, de chambre, de cuisine. Et surtout, c’est un lieu de tranquillité et d’observation de la nature environnante. 

Et Annick, femme jusqu’au bout des doigts, désespère quand les agents de contrôle de l’État « entrent dans mon joli petit chalet avec leurs chaussures très sales ». 

3.6. Pancakes et café en brousse

3.6.1. Pancakes à la banane 

J’ai hâte d’aller voir Annick sur sa plantation rien que pour le petit déjeuner !

« Pour me cocooner au milieu de nulle part, je me prépare au petit déjeuner une sorte de pancake express à la banane de Manaraha. Je l’arrose d’un généreux coulis de chocolat 100% fait maison avec la poudre de cacao amer de la marque ROBERT* que je réalise avec une mélasse de jus de canne à sucre et une gousse de vanille Manaraha. Avec un café et un jus de fruit de la passion fraîchement cueilli de sa liane, je me dis alors que la vie est belle ». 

(* Chocolaterie Robert : depuis 1940, planteur chocolatier à Madagascar)

 3.6.2. Café hors du temps

Le temps dédié au rituel du café en dit long sur la notion « hors du temps » de la vie d’Annick, sur cette chance incroyable qu’elle a de pouvoir prendre le temps et d’y mettre toute son attention/ intention. Elle nous en parle :

« Je fais mon feu de combustible avec de la cannelle : il prend vite la flamme. Ensuite, je prélève l’équivalent d’une cuillère à soupe de grains de café récupérés sur mes caféiers. Puis, je les pile et torréfie moi-même sur le moment. Ça embaume. Je mets ensuite les grains dans le pilon en bois et je tamise.  En même temps, l’eau est mise à bouillir. Ma tasse est mon doseur, j’y ajoute une cuillère de poudre de café puis je filtre. Vient le moment de le déguster sur ma terrasse ». 

Quand Annick est découragée et que la nostalgie de la France la submerge (ses enfants et son compagnon vivent là-bas), « tous les matins avec mon café, je regarde le vol des rapaces et me dis que je suis quand même bien ici ». 

What else ? 

3.7. Roman d’aventures

La vie d’Annick est digne d’un roman d’aventures. Je vous livre dans ce paragraphe la dernière activité dans laquelle elle s’est lancée sans préméditation. Ce sont les circonstances qui l’y ont amenée. 

3.7.1. Divagation des zébus 

L’élevage du zébu est une activité lucrative à Madagascar. Le zébu est sacré et en posséder est synonyme de pouvoir et de prospérité. Néanmoins, il faut nourrir ces troupeaux de zébus qui aiment l’herbe bien grasse. 

Un troupeau de zébus, c’est comme les nuées de sauterelles ou d’étourneaux qui s’abattent sur les champs : il ne reste plus rien des cultures. Tout est rasé. A Madagascar, pour nourrir leurs troupeaux, les paysans les laissent divaguer souvent sur des terres privées. C’est ce qu’il s’est passé sur le domaine de Manaraha. 

3.7.2. Creuser des fossés 

Pour endiguer cette atteinte à sa propriété privée, Annick a eu l’idée de creuser des fossés aux limites de la plantation pour empêcher les zébus de pénétrer plus avant. Ce faisant, elle a eu la mauvaise surprise de constater que des paysans voisins avaient empiété sur ses terres en creusant … Mais cette fois, pas pour endiguer l’invasion des zébus. Plutôt pour chercher de l’or. En remontant ainsi un filon, ces paysans se sont retrouvés tout simplement chez Annick. 

3.7.3. De productrice distillatrice à chercheuse d’or

Après avoir chassé ces intrus, Annick a ajouté une corde à son arc : elle combine son activité de productrice distillatrice à celle de chercheuse d’or. Mais elle précise rapidement « qu’elle réalise cette activité de manière respectueuse de l’environnement et à l’ancienne ».

3.7.4. Or : un espoir 

Chercher de l’or aujourd’hui à Madagascar permet d’ajouter du beurre dans les épinards comme on dit et donne un peu d’espoir. Annick met de côté chaque gramme trouvé pour « s’acheter un billet d’avion pour rentrer en France voir ses enfants ». 

3.7.5. Création d’une vie aquatique

Armée de pelles et de batées, Annick creuse aux abords de sa plantation et cela finit par créer de petits étangs. La vie aquatique en prend doucement possession : des plantes, comme les oreilles d’éléphants si caractéristiques de l’ambiance humide, des oiseaux d’eau douce viennent nicher … Bref, productrice- distillatrice et chercheuse d’or dans les règles de l’art, Annick crée la vie autour d’elle. 

3.8. Allumer un feu ..

J’espère qu’Annick appréciera de lire cet hommage. J’ai tardé à le publier car je souhaitais bien évidemment qu’elle en prenne connaissance avant. Vous aurez compris que je ne peux pas avoir un retour dans la minute ! 

3.8.1. Brousse et occident

Nous espérons (j’englobe Annick avec moi), grâce à ce témoignage on ne peut proche plus du terrain, vous avoir permis de mieux comprendre la vie des petits producteurs. Annick est un pur produit de la brousse mais aussi une femme qui connaît l’Occident. Forte de cette connaissance, elle est consciente des problématiques auxquelles elle doit faire face. 

Sa vie de productrice de brousse à Madagascar nous paraît à mille lieues de nos préoccupations d’occidentaux. Ses enfants sont en France ainsi que son compagnon. Quel feu sacré brûle dans ses veines pour supporter un tel sacrifice ? J’en serais totalement incapable même si je ne peux qu’envier ce mode de vie au plus proche de la nature. Annick avoue que « sa passion dévorante pour les plantes l’a écartée de sa famille » et se demande comment équilibrer les deux. 

3.8.2. Case de Baba Yaga

En ce qui me concerne, j’attends toujours avec impatience ses retours sur la côte Est dans sa case de Baba Yaga (petit clin d’œil, elle me comprendra) avec vue sur océan Indien pour qu’elle retrouve une connexion internet. Nous reprenons alors le cours de nos échanges. Avant d’avoir le bonheur de la retrouver sur sa plantation évidemment: j’ai bien l’intention de planifier un voyage pour boire un café avec elle.

Dernière chose. Annick rigole en disant « que c’est toujours moi qu’on appelle pour allumer le barbecue ». Et oui, Annick de la Brousse sait allumer un feu. Je ne peux pas en dire autant… 

Voilà, cette série 3 articles à Annick, s’achève. J’espère qu’elle vous aura plu et permis de voyager un peu tout en comprenant les difficultés réelles du terrain des petits producteurs de Madagascar. Racontez-moi vos impressions dans les commentaires, c’est toujours une récompense pour moi de vous lire !

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5 Replies to “Annick: productrice d’huiles essentielles à Manaraha, Madagascar (3/3)”

  1. J’aime cette notion de temps en brousse et le café pancake banane 😊

    1. aurais tu envie d’un petit déjeuner aussi, en brousse ? 😉

  2. chantal koch dit : Répondre

    Chapeau bas Madame Annick !
    Et tout mon respect. Même si cela ne lui sera d’aucune aide.
    Je vis dans un tout petit village perché sur une montagne. Tous les matins (même l’hiver avec la neige et le gel) je bois mon premier café dehors avant le lever du jour. Alors bien sûr ce n’est pas la brousse et mon café je l’achète (je le mouds moi même). Mais c’est un moment magique pour moi. J’aurai une pensée pour Annick….
    Merci à toi Johanne pour cette transmission qui ne manque pas/plus de piment !

    1. chère Chantal,
      merci merci pour ce joli retour. Annick a besoin de toutes les ondes positives, elle me disait récemment que savoir que l’on pense à elle est un grand soutien psychologique. Créons donc ce joli nuage de pensées qui volent vers elle 🙂 Et je t’en prie, c’est un plaisir pour moi de faire porte parole de ces belles personnes. et j’ai aussi de belles personnes comme toi pour témoigner aussi, alors merci pour ta fidélité.

  3. un seul mot MERCI et continue sur cette lancée ma chère ANIICK
    A TRES BIENTÖT SUR LA RDP
    Essentiellement tien

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