Distillation lente et douce chez Terre d’Alchimie(1/4)

Depuis que je suis élève de Michel Faucon, la notion de distillation lente et douce indispensable pour obtenir des huiles essentielles de qualité médicale qu’il ne cesse d’enseigner m’est devenue familière. Et justement, se rendre à la distillerie Terre d’Alchimie auprès de Florent Chauvin, c’est un peu comme aller à la source de ce concept. 

En effet, il semble bien que le concepteur initial de l’alambic adapté à l’extraction des huiles essentielles de qualité thérapeutique soit bien Christian Nugier hélas encore trop méconnu. Nous souhaitons lui rendre hommage à travers ces lignes car il est sans doute l’un des acteurs principaux sinon l’instigateur de ce principe de distillation lente et douce. Florent Chauvin, son successeur depuis 6 ans et digne héritier de ses principes et de sa pensée, nous a superbement accueilli(e)s malgré la météo capricieuse du début du mois de juillet. 

La première partie de cet article est un peu technique! Accrochez-vous 🙂 Nous parlerons des huiles essentielles dans les prochaines publications.

(Distillation lente et douce) En compagnie de Michel Faucon, Christian Nugier et Florent Chauvin chez Terre d’Alchimie – Crédit photo: Colas Lemaire

Je remercie Colas de m’avoir mis à disposition ses photos pour illustrer cet article (crédit photo indiqué Colas Lemaire)

1. Christian Nugier, initiateur de la distillation lente et douce

Christian Nugier est l’initiateur de la distillation lente et douce, effectuée à basse pression et à basse température, respectant ainsi la plante et l’intégrité de ses molécules fragiles. Cette distillation doit en outre s’effectuer sur une durée suffisamment longue pour extraire la totalité des molécules volatiles, même celles présentant un haut poids moléculaire : c’est ce que Michel Faucon nomme « principe de distillation lente et douce ». Grâce à ses observations et son « bon sens » (comme Christian Nugier le dit lui-même avec humilité), le fameux concept de distillation lente, douce et longue s’est matérialisé grâce à un alambic spécialement pensé et développé. 

Les normes de distillation initiées par Christian Nugier sont aujourd’hui suivies par de nombreux distillateurs de talent. S’ils n’ont rien inventé de ces bonnes pratiques, beaucoup s’en sont inspiré, parfois même pour les améliorer. Allons voir de plus près. 

Florent Chauvin de Terre d’Alchimie nous parle de la distillation lente et douce – Crédit photo: Colas Lemaire

1.1. Christian Nugier : un parcours

1.1.1. Coopérative Biotope des montagnes

Christian Nugier a d’abord été exploitant de fleurs et plantes de tous genres dans les années 80. Sa coopérative, appelée alors Biotope des montagnes, produisait une gamme complète de plantes et d’infusions. A cette époque, il produisait pour différents secteurs : pharmaceutique, parfumerie, phytothérapie, homéopathie, herboristerie.  

Il s’est lancé dans la production d’huiles essentielles car son intuition lui a soufflé que ces produits manquaient à sa gamme déjà bien garnie (les années 80 voient déjà l’intérêt pour l’aromathérapie émerger).

Michel Faucon et moi devant l’alambic de Terre d’Alchimie, à la recherche de la distillation lente et douce – (Photo personnelle)

1.1.2. Pratiques de distillation

Ses débuts dans le monde de la distillation n’ont pas été concluants car il ne connaissait pas les bonnes pratiques. Il s’est alors informé auprès de Pierre Franchomme (alors précurseur de l’aromathérapie avec le Docteur Pénoël) et a épluché le fameux ouvrage de Gunther. Et bon an, mal an, Christian Nugier a commencé à distiller. Au début, il a commis des erreurs mais a su observer et s’entourer des bonnes personnes. Il s’est vite rendu compte des mauvaises pratiques, qu’il jugeait trop brutales, comme la distillation « à feu nu ». Comme il l’explique, « jadis, on distillait à feu nu. Il fallait être présent tout au long de la distillation et avoir une grande maîtrise du feu. C’est très compliqué de savoir remettre du bois au bon moment ».

Il évoque aussi la distillation industrielle dans des cuves bien trop grandes (plus de 1.300 litres) avec une pression bien trop haute (400 mb et bien plus…). Le tout associé à un tassage trop fort et une chaleur de distillation qui détruit les composants fragiles des plantes. 

Chez Terre d’Alchimie, Christian Nugier, Michel Faucon et Florent Chauvin entourés des participant(e)s – Crédit photo Colas Lemaire

1.2. Un alambic spécialement pensé et développé

Comme je le disais précédemment, toutes ces expériences et observations ont donné lieu à un alambic spécialement pensé et développé. Comme il l’explique : « Lors d’une distillation, il y a automatiquement des turbulences et de la condensation ». Il précise qu’il a eu la chance de rencontrer un excellent chaudronnier qui lui a été d’un grand secours. Deux ans de travail ont été nécessaires pour aboutir à l’alambic de ses rêves. 

Voici donc les différents points que Christian Nugier a intégrés dans sa vision de l’alambic et de la distillation pour améliorer le plus possible la qualité de la distillation. 

Si je puis ajouter aussi une remarque : distiller est un art qui requiert du tact et aussi une bonne connaissance de la physique de l’eau

1.2.1. Vapeur sèche, vapeur humide et hydrolyse

Néanmoins avant de commencer, laissez-moi revenir sur des notions importantes : la différence entre vapeur sèche et vapeur humide et sa potentielle, et néfaste, conséquence : l’hydrolyse

Pour éviter l’hydrolyse, c’est-à-dire la présence d’eau qui altèrerait les molécules pendant la distillation, il faut empêcher la création de gouttes d’eau générées par la vapeur humide. Mais de la vapeur est toujours de l’eau donc potentiellement humide, me direz-vous ! Détrompez-vous. La vapeur sèche est exempte d’humidité. La vapeur humide est de l’eau sous forme de gouttelettes (prenez l’image de la cuisson à la cocotte-minute: la vapeur est très humide).

Mais comment cela est-il possible ? C’est ici que rentre en jeu la notion de pression

1.2.2. Vapeur sous haute pression

Une vapeur sous haute pression est plus chaude donc plus sèche. Cela empêche toute humidité indésirable dans la cuve. « L’eau est notre ennemie pendant la distillation » dit Florent. Par ailleurs, il faut de la chaleur pour distiller. Selon Florent, la limite subtile entre vapeur sèche et vapeur humide se situe autour de 1 bar de pression. 

1.2.3. Et pourtant, distillation à basse pression

La distillation réalisée avec de la vapeur sèche ne crée pas, ou beaucoup moins, d’hydrolyse. La distillation est de meilleure qualité car elle évite la destruction des molécules aromatiques. 

Cependant, cette vapeur très sèche et très chaude disponible dans la chaudière ne risque t’elle pas de brûler les plantes au moment où elle sera injectée dans la cuve de distillation ? Bonne question puisque nous savons aussi qu’il est préférable de procéder à une distillation à basse pression ce qui implique l’injection d’une vapeur à basse pression, donc moins chaude. Voici l’enjeu: la vapeur à haute pression, créée dans la chaudière, doit arriver à basse pression dans la cuve de distillation. 

Florent Chauvin, Terre d'Alchimie, nous expose le procédé de la distillation lente et douce
Florent Chauvin (Terre d’Alchimie) nous parle de la distillation – Crédit photo : Colas Lemaire

1.2.4. Détendeur de vapeur

Mais alors, comment passer par miracle de 5 bars dans la chaudière à une pression idéale de 40 mb (millibars) dans la cuve de distillation ? Grâce à un détendeur de vapeur pardi ! 

Un détendeur de vapeur est une membrane compressée qui contrôle la pression de la vapeur tout en diminuant sa température. Même si la vapeur est détendue, elle reste toujours sèche et permet ainsi une distillation respectueuse des végétaux.

Christian Nugier dit : « Détendre la vapeur est une idée capitale. Cela permet de travailler sur la qualité de la vapeur : sèche pour éviter le phénomène d’hydrolyse et à température suffisamment basse pour ne pas abîmer les plantes ». 

Chez Terre d’Alchimie, la distillation est réalisée à 40 millibars ce qui représente environ une température autour de 98°.  De plus, il convient évidemment de distiller dans des petites cuves que dans une énorme qui requerra forcément plus de vapeur donc plus de pression. 

1.2.5. Col de cygne

Rappelez-vous : l’eau est la pire ennemie du distillateur. De plus, Christian Nugier avait observé que la vapeur devait pouvoir passer, rouler sans trouver d’obstacles sur son chemin. 

Le col de cygne sur cet alambic est dégressif. Sa pente est douce ce qui veut dire que, si à son point le plus haut se trouve une goutte d’huile essentielle, elle tombera toujours du côté du réfrigérant. Elle n’est donc pas perdue car il faut savoir que « une goutte d’huile essentielle qui se forme et retombe dans la cuve ne se reforme pas ». C’est un détail mais sur des huiles précieuses, comme l’achillée ou encore la verveine, chaque goutte compte.

1.2.6. Serpentin de refroidissement (ou réfrigérant)

Cet alambic est conçu avec 3 niveaux dans le serpentin de refroidissement : 

70 à 80° en sortie de cuve de distillation, 50 à 60° à la moitié de la cuve de refroidissement pour atteindre 20 à 25° en bas. Cette réfrigération à paliers évite un choc thermique brutal qui contribuerait à une re-condensation brutale de la vapeur, occasionnant la perte de précieuses molécules aromatiques (qui retomberaient dans la cuve et seraient perdues à jamais). Ce système de réfrigération par paliers apporte un surplus de douceur. 

Techniquement, comment cela se passe-t-il ? Le diamètre du serpentin est de plus en plus petit : 60 mm de diamètre pour finir à 7mm de diamètre. La vapeur, prise en étau de manière dégressive, est refroidie petit à petit. A chaque tour, le diamètre diminue pour augmenter la vitesse de refroidissement. En plus de dégager le col de cygne plus rapidement, toute compression est évitée au maximum. 

Florent Chauvin, Michel Faucon et moi dans la distillerie Terre d’Alchimie – Crédit photo: Colas Lemaire

1.2.7. Temps de distillation 

Même le temps de distillation a été énormément allongé. Christian Nugier témoigne : « A l’époque, en Provence sur le plateau de Valençon, la lavande était distillée en 20 minutes ». Il a donc commencé à distiller la lavande pendant deux heures. 

Selon lui, la longueur du temps de distillation est indispensable pour révéler la totalité des constituants. Et toute la difficulté du distillateur est aussi de trouver le juste milieu car « distiller trop longtemps peut fatiguer la fraicheur des arômes ». Il ajoute qu’une lavande distillée 3 heures n’est pas intéressante : l’odeur n’est pas aérienne, pas assez subtile, elle sent le chaud. « Il faut prendre la décision d’arrêter la distillation à un moment donné ». 

2. Terre d’Alchimie aujourd’hui 

Vous avez compris que l’alambic chez Terre d’Alchimie a été conçu avec amour et précision. Ce modèle d’alambic a été beaucoup repris, Christian Nugier ayant gentiment fourni les plans de celui-ci. 

Aujourd’hui, c’est donc Florent Chauvin qui a repris l’affaire. C’est un digne représentant de l’école Nugier et il n’hésite pas à lui rendre hommage. Encore régulièrement, Florent sollicite Christian Nugier pour des conseils toujours avisés et utiles.  

2.1. Alambic de petite contenance

Chez Terre d’Alchimie, l’alambic est évidemment de petite contenance (600 litres) et en inox 316L (qualité chirurgicale), « ce qui n’est pas énorme mais très bien à échelle humaine » témoigne Florent.  Pour vous donner un ordre d’idée, cette contenance accueille jusqu’à 200 kilos de plantes. 

2.2. Chaudière autonome

La chaudière fonctionne de manière à toujours fournir de la vapeur pour la cuve. Son autonomie est de 30 minutes de vapeur disponible. Par ailleurs, la cuve de refroidissement et la chaudière fonctionnent en circuit fermé : l’eau du réfrigérant est ré-injectée dans la chaudière, et vice-versa. 

Florent n’allume la chaudière que quand la cuve est remplie pour optimiser l’obtention et le rendement en huile essentielle. Sans oublier le coût de l’énergie et l’utilisation de cette précieuse denrée qu’est l’eau. Il vaut mieux rester artisanal avec un alambic qui corresponde à l’activité de production. « Mes 600 litres me suffisent » dit-il.

Et Florent précise : « Il faut avoir la disponibilité de la plante ». Justement, qu’en est-il ?

2.3. Cultures

Florent cultive 4 hectares largement suffisants selon lui. « La distillation requiert du volume.  Il faut énormément d’aromatiques pour remplir une cuve ». Quatre hectares fournissent suffisamment de plantes pour remplir environ 10 cuves. Il laisse ses parcelles s’enherber, la terre n’est jamais nue, ce qui permet de maintenir une bonne humidité au sol et une température inférieure de 10 degrés.

Une fois les plantes dans la cuve, elles sont tassées au pied. Florent nous dit qu’il est « important de tasser en colimaçon afin d’éviter que la vapeur ne passe directement sur les bords », la vapeur cherchant toujours le chemin le plus court. Si un trou, « une cheminée », se trouve sur son chemin, elle s’y engouffre sans extraire d’essence. Et cela engendrera donc des pertes potentielles de molécules aromatiques qui ne seront pas transportées par la vapeur. 

Souvent, après distillation, Florent observe « le gâteau de distillation » résiduel, pour voir si des zones ont échappé à la vapeur. Cette observation lui permet d’améliorer son coup de pied pour les prochaines fois. A titre d’information : la lavande nécessite une heure pour être tassée dans la cuve. 

Florent fait aussi de la cueillette sauvage et récupère des conifères issus des coupes forestières. J’en parlerai quand je publiera sur le Sitka.

Florent Chauvin, distillateur chez Terre d’Alchimie, occasionnellement bûcheron – Photo: Colas Lemaire

2.4. La connaissance des plantes 

Si vous en doutiez encore, être distillateur ou distillatrice ne s’improvise pas. Il faut beaucoup d’humilité car le végétal ne s’en laisse pas conter. Et chacun a ses secrets. Beaucoup de patience, et de l’observation, sont nécessaires pour avancer dans ce métier. Voici quelques exemples que Florent a partagés avec nous. 

Distiller requière du tact et du savoir-faire – Photo Terre d’Alchimie

2.4.1. Lavande fine sauvage

La lavande sauvage a besoin d’être bien sèche tandis que la camomille romaine est distillée fraîche après la récolte. La sauge sclarée, quant à elle, est préfanée deux heures. 

2.4.2. Cyprès vert 

Le cyprès vert est distillé de manière fragmentée : deux heures de distillation le soir qui permettent d’obtenir un demi-litre voire un litre d’huile. « Mais je ne garde pas cette fraction qui n’est pas la bonne ». La chaudière est ensuite éteinte ce qui crée une dépression dans la cuve. En effet, sous l’effet de la baisse de la température, et d’une masse chaude mise sous vide, une pression négative est atteinte dans la cuve (les lois de la physique). Ce processus permet de faire exploser les poches à essences du cyprès. Le lendemain, la cuve est rallumée 2 heures. C’est à ce moment que la bonne huile essentielle de cyprès sort de l’alambic. Florent obtient 1,5 litres sur une cuve pleine.  

Regarder les plantes dans le jardin botanique de la distillerie Terre d’Alchimie – Photo Colas Lemaire

2.4.3. Cèdre de l’Atlas

Ceci ne vaudra absolument pas pour le cèdre de l’Atlas qui nécessitera, quant à lui, 24 heures de distillation. Pendant les 15 premières heures, rien ne se passe. Puis après 16 heures, l’hydrolat devient laiteux. Enfin, après 17 heures de distillation (donc autant d’heures pour que la vapeur pénètre dans le bois), les premières gouttes d’huile essentielle vont sortir pour atteindre un demi-litre d’huile essentielle 7 heures plus tard.

Cèdre et cyprès vert en distillation : pas le même combat ! Le vide pour le cyprès. La patience pour le cèdre. Bienvenue dans le monde des plantes et de leur distillation !

Vous avez tenu le coup jusqu’ici ? Bravo ! Je vous donne rendez-vous au prochain article qui traitera des huiles essentielles d’Agastache et de Vergerette du Canada.

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