Senteurs du monde #3 – La vanille verte de Le Sourceur

La vanille, c’est pour les p’tites filles, le chocolat, c’est pour les p’tits gars !

Adage populaire qui n’a plus lieu d’être…

Je n’ai jamais vraiment compris cet adage, comme s’il fallait choisir entre vanille et chocolat… 

Aujourd’hui, nous restons à Madagascar, laissons le gingembre bleu pour aller à la découverte de la vanille verte.

Que savez-vous au sujet de la vanille ? Je vous préviens: elle mérite un roman ! Son histoire est riche de surprises. Faisons un tour rapide d’horizon pour mieux comprendre. 

Portrait de Vanille 

Terre d’origine de la vanille

Originaire du Mexique

La terre d’origine de la vanille est l’Amérique centrale plus précisément le Mexique. Ce sont les Totonaques, peuple amérindien qui vivait sur les côtes montagneuses de l’est du Mexique qui la découvrirent et l’intégrèrent à leur culture. 

La vanille a besoin de conditions climatiques et géographiques très spécifiques pour croître : pas plus de 800 mètres au-dessus du niveau de la mer, ombre et humidité. 

Vanille et Espagnols: Hernan Cortès fasciné

A l’arrivée des Espagnols sur le continent sud-américain, Hernan Cortès est fasciné par cet arôme et son biographe, Bernal Diaz del Castillo, décrit comment l’Empereur Moctezuma agrémentait son xoxoatl, boisson à base de fèves de cacao moulues (qui a notamment donné son nom à …chocolat !), de farine de maïs aromatisée au tlilxochitl (vanille en poudre).

Cette rencontre entre les hispaniques et la vanille fut le point de départ d’un long périple qui a mené la vanille en Asie, Polynésie, Madagascar, la Réunion, Java, Ouganda, île Maurice et Tahiti. 

Petite anecdote linguistique: vainilla

Petite anecdote linguistique: le mot « vanille » vient de l’espagnol. En effet, le mot «vaina » signifie « gousse ». En rajoutant le diminutif -illa, cela a donc donné le nom à Vainilla, littéralement la petite gousse !

Vanille et botanique

La vanille est une liane, rampante … mais aussi, une … orchidée 

Fleur de vanille
Fleur de vanille – Photo @pixabay

Sa tige est cylindrique et charnue, ses racines sont adventices (elles peuvent se développer à partir de différentes parties de la plante comme la tige), aériennes et pendent vers le sol. La plante peut atteindre 15 mètres de hauteur. Ses feuilles sont très longues, charnues et très brillantes ; sa fleur est blanche tirant sur le jaune, la morphologie typique des orchidées et elle ne porte qu’un seul pistil. Le fruit, improprement appelé « gousse » est en réalité une longue capsule. Mais bon… je chipote. 

plantation de vanille
Plantation de vanille, la vanille a besoin de tuteur pour grandir, c’est une liane ! Photo @lesourceur

Le mystère de la pollinisation de la vanille 

Une fois entamé son périple vers d’autres contrées, dans lesquelles la vanille s’est par ailleurs bien acclimatée, un mystère faisait néanmoins rage. Les fleurs poussaient et s’épanouissaient mais aucun fruit ne daignait apparaître. La vanille semblait stérile hors de son pays d’origine. 

Et comme beaucoup de découvertes se font de manière inopinée, aucun botaniste, ni aucun scientifique ne réussit à percer le secret de la pollinisation jusqu’à un jour de 1840.

1840 : le secret de la pollinisation percé par Edmond Albius

Ce jeune Edmond Albius, jeune esclave noir de la Réunion, a révolutionné le monde de la vanille lorsque de manière instinctive, il entreprit de polliniser à l’aide d’une aiguille la fleur de vanille : manuellement il mit en contact l’organe mâle et l’organe femelle, tous deux cachés dans une structure hyper complexe au sein de la fleur… et la magie opéra. Un fruit apparut. 

vanille et fécondation manuelle
Vanille et fécondation manuelle – Photo @lesourceur

« Tandis qu’il insinuait avec précaution l’épine entre les pétales, Jeannette s’écria : « Oh, maintenant, c’est aussi une femme ! Peut-être qu’elle deviendra très belle et qu’elle aura aussi des enfants ? »

Les vanilliers de George Limbour, 1938

On s’aperçut que l’insecte ès vanille était un « non voyageur », ce qui expliquait pourquoi aucune fructification ne se réalisait en-dehors de sa terre d’origine. La pollinisation désormais devait se faire entièrement… manuellement

Selon Dominique Roques, « il aura fallu presque trois siècles aux Européens pour comprendre la vanille ».

La vanille victime de son succès

Madagascar est le premier producteur de vanille avec 80% de la production mondiale. On comprend aisément les enjeux liés à cette culture. 

Il faut bien parler aussi des faits réels. Dominique Roques, dans son livre « Cueilleur d’essences », nomme la vanille la « reine aux tristes tropiques ». 

En effet, la filière vanille est aujourd’hui la triste victime de son succès. Devant jongler entre «corruption des autorités, comportement spéculatif des acheteurs et intermédiaires, dérèglement progressif du régime des pluies et cyclones s’abattant sur la vanille un an sur deux *», la vanille enchaîne les crises. 

Terrain de jeu pour argent sale à recycler

De mauvaises récoltes entrainent la diminution des stocks, donc pénurie. La conséquence logique est l’augmentation vertigineuse des prix de la vanille et de l’argent comptant en circulation, argent blanchi coulant à flot dans un contexte de corruption généralisée. 

S’ensuit une augmentation de la violence puisque des ballots de billets contenant des milliers de dollars traversent la brousse à dos d’hommes sous protection de gardes armés. 

Vol des gousses de vanille 

Sous l’effet de la pénurie, les paysans subissent le vol de leurs gousses, sachant que la vanille est leur seule source de revenus. Une catastrophe pour ces paysans qui ne se nourrissent que de riz… Pour pallier au vol et tenter de préserver le fruit de leur travail, les paysans cueillent les gousses à seulement 5 mois de maturité (au lieu des fameux 9 mois de la première gestation) entraînant une baisse extrême de la fameuse qualité «Bourbon ». 

Panique dans l’industrie

Face à cette baisse de qualité, l’industrie panique et se tourne vers les arômes synthétiques pour éviter le problème d’approvisionnement en vanille. Seulement, entre-temps, les paysans replantent sans relâche la vanille, créant ainsi une situation possible de surproduction et d’effondrement des prix comme conséquence. 

Programmes de développement à la source

Face à ce constat, de nombreuses initiatives se mettent en place : création de coopératives, diversification des cultures pour assurer d’autres revenus aux paysans, consommateurs soucieux de la traçabilité de la vanille…

J’espère avoir bien résumé le cercle infernal de la filière vanille de Madagascar. 

La transformation de la vanille 

Il faut savoir que les Aztèques laissaient mûrir les gousses directement sur l’arbre qui se fendaient une fois mûres libérant ainsi leurs arômes (à savoir : une gousse verte n’a aucune odeur).

Mais dans le marché mondial de la vanille, une gousse fendue perd son « charme commercial», si je puis dire… 

Ernest Loupy et l’échaudage des gousses

Et alors, comme toujours dans la grande Histoire Humaine, une découverte permet de faire perdurer une histoire… et d’en faire un succès mondial

Une fois le secret de la pollinisation percé, un autre protagoniste surgit dans l’histoire de la vanille : Ernest Loupy, planteur réunionnais. En 1851, il met au point le procédé de l’échaudage des gousses. Ce procédé consiste à ébouillanter pendant quelques minutes les gousses fraîches pour libérer les enzymes qui attaquent les substances de la vanille fraîche et les transforment en vanilline. 

Deux gestations pour produire la gousse

« Deux gestations pour produire enfin l’épice mûre » écrit Jean-Marie Pelt.

Je reprends librement le terme de Jean-Marie Pelt : la « gestation« . En effet, l’obtention de la gousse de la vanille que nous connaissons est un véritable accouchement, pas dans la douleur (ou en tous cas je l’espère), mais dans la patience !

Gousses de vanille en cours de maturation
Gousses de vanille en cours de maturation – Photo @pixabay

Première gestation

La première gestation débute à partir de la fécondation (manuelle donc) : neuf mois sont nécessaires pour obtenir une gousse mûre. 

La récolte doit se faire au bon moment : trop verte, le parfum sera moins puissant, trop mûre, il y a un risque que la gousse se fende et perde son « atout commercial ».

Deuxième gestation

La deuxième gestation commence à partir de l’échaudage. A cet instant, commence une lente préparation de la vanille entre alternance de périodes d’étuvage, de séchage, – tantôt au soleil, tantôt à l’ombre-, et de fermentation. Le processus dure entre 9 et 12 mois. 

Travail minutieux, précis et rigoureux qui requiert une grande patience et qui justifie le prix de la vanille. 

Obtention de la gousse de vanille

Toutes ces étapes aboutissent à l’obtention de la gousse brunie un peu racornie que nous connaissons bien : longue, brillante et couverte de cristaux de vanilline (ce qui atteste de son authenticité !). Et bonne nouvelle, la vanille intensifie ses arômes en vieillissant. 

Mais, car il y a un mais…. 

Cette technique est très peu valorisante pour le producteur. Elle dure longtemps, requiert beaucoup de main d’œuvre, peu cher payée et la transformation des gousses en extraits utilisables pour l’aromathérapie ou la parfumerie n’est pas réalisée sur place. D’où un transport nécessaire de kilos de gousses en France. Pas très juste, pas très écologique, pas très valorisant… 

Bouture de vanille – Photo @lesourceur
Distribution de boutures de vanille – Photo @lesourceur

Vanille verte de Le Sourceur

Je terminais mon article précédent sur le gingembre bleu en vous dévoilant le nom de Stéphane Piquart, à l’origine de Le Sourceur

La vanille verte de Le Sourceur est issue d’un autre procédé : plus rapide, plus simple, avec davantage de bénéfices pour le producteur. 

Le procédé de Jean-François Arnaudo 

L’homme à l’origine de cette invention est un « professeur géo-trouve-tout » selon Stéphane Piquart. 

Il s’appelle Jean-François Arnaudo. Docteur en chimie organique structurelle, il a dédié sa carrière aux produits aromatiques naturels : recherche et développement sur leur composition et l’influence des méthodes/ processus sur la qualité des extraits. Selon lui-même, il faut « être toujours techniquement sérieux tout en s’amusant, dans la joie et dans l’amour». 

Séchage de la vanille au soleil – Photo @lesourceur

Son procédé consiste à déclencher la libération de la vanilline par un choc thermique : la vanille coupée en morceaux est congelée puis décongelée et séchée au soleil. Ensuite, elle sera macérée et réduite dans de l’alcool. Lorsque l’alcool s’évapore reste la merveilleuse oléorésine de vanille verte… 

Ce procédé est plus rapide, plus simple, plus efficace et permet de gagner un certain temps par rapport au processus classique.

Procédé au service des petits producteurs

Acte absolument philanthrope et digne d’être mentionné : 

Ce procédé est aujourd’hui utilisé par les grands groupes spécialisés en matières premières. Néanmoins, Jean-François Arnaudo l’a également donné à Stéphane Piquart, charge à ce dernier d’en faire bénéficier qui bon lui semble.  

Fort de sa volonté d’aider les petits producteurs à vivre décemment de leurs matières premières, Stéphane Piquart a donc à son tour donné le procédé à des ONG locales, notamment Cœur de Forêt et à l’association Parfumeurs du Monde, pour une mise en place et un suivi sur le terrain. 

Mis au service des petits producteurs, le procédé leur permet d’obtenir :

  • une plus grande valeur ajoutée
  • une plus grande marge sur leur production
  • une implication dans la transformation de la vanille en extrait par la maîtrise du process de A à Z.

Arôme de la vanille verte

Sensibilité olfactive du nouveau-né prématuré: travaux de Luc Marlier

En 2007, Luc Marlier, chercheur au CNRS de Strasbourg, épaulé par une équipe de docteurs pédiatres néonatalogistes, a mené une étude portant sur la « sensibilité olfactive du nouveau-né prématuré« . Le but de cette étude était de démontrer les effets de la diffusion de vanille dans les incubateurs des nouveaux-nés. Ces travaux ont été poursuivis en 2013 par Mitra Edraki lors de cette étude: « Olfactory stimulation by vanillin prevents apnea in premature newborn infants« . Les résultats sont surprenants et résumés ci-dessous:

Réduction de près de 50% des apnées centrales (dues à l’immaturité du système nerveux central), apnées les plus sévères qui bien souvent entraînent la mort du nourrisson.

L’odeur de la vanille permettrait donc d’harmoniser les fonctions vitales, notamment respiratoire, apportant ainsi un confort psycho-émotionnel.

Prévention de bradycardies et provocation du réflexe de succion.

Ce n’est pas pour rien : la vanille donne envie de vivre et de s’accrocher à la vie, elle est universelle!

La vanille verte de Le Sourceur

La vanille verte est une explosion de senteurs qui font scintiller les saveurs. Ou au contraire : un scintillement de senteurs qui font exploser les saveurs. Peu importe, les sens de l’odorat et du goût se retrouvent intimement liés et entrelacés, car autant le nez que la langue prennent leur pied (façon de parler !). 

Sentir la vanille verte, c’est comme un genre de choc gourmand à multiples facettes. Elle a de la vanille, certes mais aussi du chocolat (donc, ça y est, je sais que la vanille n’est pas que pour les petites filles et le chocolat pour les p’tits gars !). 

Et puis, si on lui laisse le temps de se poser, elle dévoile des notes de fond de tonneau à vin, mêlant des notes « raisin », « bois humide fermenté », fond « d’armoire de campagne » et une certaine note « figue sèche ».

Je l’adore (mais j’adore aussi le chocolat !).

Autant en cosmétique qu’en cuisine, elle est addictive. 

Petit message à ma maman, qui rejette la vanille depuis que je la connais (autre preuve qu’elle n’est pas QUE pour les petites filles, ça y est, j’ai démonté pour toujours l’adage populaire …) : 

« On va faire des muffins à la vanille verte cet été pour tes petits-enfants. Autorisés à la consommation aussi pour les grands-mères ! » (aux mères aussi tant qu’à faire). 

Johanne

Vanille, histoire digne d’une aventurière

Vous aurez compris j’imagine. L’envers du décor idyllique de la vanille n’est pas tout rose. 

Face à son succès mondial, que dis-je ?, – universel !-, face à cette reine des épices, dont l’histoire est digne d’une aventurière au destin intimement lié à l’Histoire Humaine (comme j’aime à le dire), la vanille représente aussi un fragile équilibre entre avidité et respect

La vanille a un certain prix, j’espère que vous comprendrez un peu mieux pourquoi. Il s’avère nécessaire voire primordial et responsable, de choisir en conscience notre vanille.

 Il est urgent de savoir dans quelles conditions elle est produite : penser à ces producteurs qui survivent tant bien que mal alors que la vanille est un patrimoine de l’Humanité (c’est moi qui le dis) est notre devoir de consommateurs. 

Alors, je remercie Stéphane Piquart et tous ces acteurs qui oeuvrent avec détermination pour améliorer les choses sur le terrain pour le bien-être des producteurs et pour le plus grand bonheur des consommateurs

Et vous, plutôt vanille ou plutôt chocolat ? Dites-moi tout en commentaire !

  • Bibliographie :
  • Jean Marie Pelt – Les épices – Livre de poche 2016
  • Octavio Paredes López – Los alimentos mágicos de las culturas indígenas mesoamericanas – Colección La Ciencia para todos
  • * Dominique Roques – Cueilleur d’Essences, aux sources des parfums du monde – Editions Grasset 2021 
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6 Replies to “Senteurs du monde #3 – La vanille verte de Le Sourceur”

  1. Coucou, a l’olfaction , j’ai le chocolat et je me suis vue avec un bon plaid sur le dos , un chocolat chaud à la main et tout ça devant un feu ouvert 🤣 Bien loin d’un pays exotique.

    1. Les odeurs mènent à tous les possibles 🙂
      Merci Murielle pour ton témoignage 😉
      Grosses bises

  2. Un plaisir à lire ! On s’imprègne de ce récit écrit par une passionnée !

    1. merci ma Carole! A très vite pour de nouvelles aventures, gros bisous

  3. Je confirme ! La vanille du Sourceur est une magie exotique. Je t’embrasse Johanne.

    1. chère sanja, merci pour ton témoignage, oui la vanille du Sourceur est un délice, moi aussi je t’embrasse fort.

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