Betsara : plantation de ravintsara à Madagascar (1/2)

Chez Betsara, plantation de ravintsara

A Madagascar, alors que nous nous trouvions à Fianarantsoa avec mes deux amies, Annick (je vous rappelle les articles que j’ai écrit ici, ici et ici) et Géraldine, sophrologue à Montréal, nous avons rendu visite à Pierrot Men, photographe malgache mondialement connu. Géraldine le connaît depuis son enfance passée là-bas. Au détour d’une conversation, Géraldine évoque la plantation de ravintsara appelée Betsara située à proximité dans le village de Sambahavy. Pierrot Men, qui connaît tout le monde dans la région, nous a mises en contact avec le fondateur, Tahina. Ayant peu de temps sur place, nous pensions sincèrement que cela serait impossible d’organiser une visite au pied levé. Tous nos doutes se sont évanouis quand Tahina s’est rendu disponible de suite. 

J’avoue, j’avais des a priori sur le fait qu’il s’agissait d’une monoculture de ravintsara. J’imaginais la super production, industrielle et mécanisée. Néanmoins, l’aspect qui m’intéressait était de mieux comprendre la situation du marché concernant l’huile essentielle de ravintsara. Quoi de mieux que d’aller à la source et poser des questions à un producteur de ravintsara ? Nous n’avions rien à perdre à essayer.

1. Betsara: Tahina, producteur de ravintsara à Madagascar 

Betsara, c’est aussi avant tout une histoire d’hommes comme je les aime. Mes attentes ont été plus que comblées et Tahina m’a complètement fait changer d’avis grâce à son honnêteté, sa transparence et sa sympathie. J’ai découvert une histoire de dingue, un véritable projet humain et un destin hors du commun. Quelle satisfaction de se défaire de préjugés pour découvrir une histoire digne d’un roman ! C’est ce qui s’est passé lors de cette journée très agréable passée en compagnie de Tahina, Géraldine, Annick et Lova (chauffeur et ami). 

Plantation de ravintsara de l'entreprise Betsara (Madagascar)
De g. à dr.: Tahina, moi, Annick, Géraldine – Photo prise devant les ravintsara, plantation Betsara (Madagascar)

Voyons voir l’histoire qui se cache derrière ce nom : Betsara qui veut dire Très bon ou Très bien en malgache. C’est tout d’abord l’histoire de Tahina, fondateur de Betsara, et sa vie de producteur de ravintsara à Madagascar. Puis, c’est une marque, Betsara, un marché compliqué et une entreprise à faire tourner. Et l’aventure de trois amis qui se sont passionnés pour cette belle plante. 

J’attire votre attention sur l’entrecroisement de discussions entre Annick et Tahina qui partagent beaucoup de points communs. Leurs situations sont différentes et pourtant leurs problématiques communes. Je tresse leurs témoignages dans la première partie de cet article. 

1.1. Tahina et le ravintsara 

Tahina est franco-malgache. Lors d’un séjour touristique à Sambahavy, village proche de Fianarantsoa, et terre familiale, un oncle lui souffle à l’oreille : « Intéresse-toi aux huiles essentielles, elles sont l’alternative pour se soigner autrement ». Situation assez cocasse : en France, Tahina était un pur citadin fan de technologie loin de se passionner pour les plantes. 

A son retour, alors qu’il a 25 ans et travaille en tant qu’intérimaire, Tahina commence à effectuer des recherches sur le ravintsara et se rend compte de la quantité incroyable d’informations à ce sujet ainsi que de son potentiel. Après une nuit à ébaucher son projet et une formation spécifique sur les études de marché, il part à Madagascar 6 mois plus tard. Son objectif : se concentrer sur le ravintsara et le planter sur ses terres familiales à Sambahavy. Nous sommes en 2009. 

Sur la plantation de ravintsara de Betsara (Sambahavy, Madagascar)
Annick, Tahina, Géraldine et moi devant la case où Tahina a habité en arrivant à Madagascar – Sur la plantation de Betsara

Les débuts sont rudes : tous les jours, par n’importe quel temps, Tahina était sur place sur la plantation pour suivre de près les travaux d’aménagement et de plantation. Il vivait de manière très rudimentaire dans une petite case sans eau ni électricité. Il ne parlait pas encore le malgache, ne connaissait pas les us et coutumes (qu’il apprendra à ses dépens au fur et à mesure). Pourtant il a tenu bon et a tout mis en oeuvre pour s’intégrer au sein de la communauté. Tahina considérait son projet comme collectif au service de celle-ci.  

Il dit : « Je n’arrive pas à expliquer pourquoi. C’est venu naturellement à moi ».

1.2. A Madagascar, production agricole

A Madagascar, il faut faire preuve d’une sacrée capacité d’adaptation. Tahina avoue avoir « craqué plusieurs fois ». La gestion d’une entreprise de production agricole, comme Betsara et notamment de ravintsara, dans le contexte de Madagascar représente une montagne de problèmes et beaucoup de pression à gérer. Bien que, dans son cas, les débouchés commerciaux se trouvent en France, il est toutefois plus qu’impératif de s’adapter aux rythmes, aux lois et aux stratagèmes malgaches. Localement, les priorités ne sont pas les mêmes, les rythmes de vie diamétralement opposés. Tahina se confronte régulièrement à l’incompréhension des locaux : les délais à respecter ne veulent tout bonnement rien dire. Le « je m’en foutisme » règne. 

Plantation de ravintsara de betsara (Madagascar)
Une vue sur la plantation de ravintsara

Annick témoigne aussi de ses débuts dans le métier. Elle évoque un ancien client à Versailles qui lui avait dit « c’est la première fois que je suis livré 6 mois après la date de commande ». Le délai sur le bon de livraison mentionnait un mois. Cependant, elle ignorait encore qu’il y aurait autant de problèmes que de situations personnelles aboutissant à l’absence quasi permanente des travailleurs. Et par conséquent un retard de livraison. 

Mais si les problèmes s’arrêtaient aux absences des ouvriers et à leur conception du délai plus que vague, on pourrait en rire. Mais, non, il y a toujours pire. 

1.3. Corruption et cadeau 

Si on parle paperasse, documents exigibles et exigés immédiatement, il y a de quoi grincer des dents. Tahina se souvient avoir convié des agents d’Eaux et Forêts à venir constater la réalité du terrain: « Regardez comment les choses se passent ici. Pour un papier, cela peut prendre plus d’une semaine, les gens ne travaillent pas quand ils devraient ».

Toutefois, et c’est là où cela ne devient plus drôle du tout, il reste la solution du billet par-dessous la table pour régler le problème… Car au-delà de l’absentéisme des travailleurs, la corruption gangrène tout et est omniprésente : les agents assermentés connaissent bien le système. Dans une filière d’exportation telle que la pratique Betsara (nous y reviendrons dans la deuxième partie de cet article), une fois la date arrêtée, les autorisations de transport attestées, signées et tamponnées, le destin ne lui appartient plus. Les agents au courant des démarches en cours et des dates vont tout simplement ralentir le processus jusqu’à ce que l’entreprise, acculée, verse une ristourne par-dessous la table. Cela s’appelle ironiquement le cadeau. 

Tahina, fondateur de Betsara producteur d'huile essentielle de ravintsara (Madagascar)
Tahina, fondateur de Betsara, producteur d’huile essentielle de ravintsara (Madagascar)

1.3.1. Le réseau

Tahina dit : « Il faut bien connaître les chefs, poser ses pions et constituer son réseau au milieu de tous les intermédiaires. Et toujours, toujours les arroser ». Il a failli baisser les bras et jeter l’éponge plusieurs fois. Il lui aura fallu 10 ans pour stabiliser son « réseau » (je mets entre guillemets car vous aurez compris quel sens donner à « réseau »). 

1.3.2. Budget prévisionnel

Tout d’abord, il faut savoir que les ristournes versées font l’objet d’un budget prévisionnel. Ce sont des frais fixes auxquels il est impossible de déroger au risque de se tirer soi-même une balle dans le pied. D’une part, ces contraintes pèsent lourd au niveau financier pour une petite société comme Betsara. D’autre part, cet état d’esprit et cette corruption omniprésente empêchent Madagascar d’avancer. Selon Annick, « ces coûts, ramenés en pourcentage, ne représentent peut-être pas grand-chose au niveau financier mais psychologiquement, c’est lourd et épuisant ».

Dans la mentalité malgache, Tahina est chef d’entreprise, donc Crésus. Pourtant, il en faut du travail pour gérer une plantation. Il en faut de la persévérance et des nuits à dormir au pied de l’alambic. Il en faut de la présence sur le terrain et du temps passé sous la pluie ou le soleil. Et du courage, beaucoup de courage.

Sur la plantation de ravintsara de Betsara (Sambahavy, Madagascar)
Bons moments passés avec Tahina, Annick et Géraldine sur la plantation de ravintsara de Betsara (Madagascar)

Il résume la situation ainsi : « Selon moi c’est facile de se rendre compte des difficultés auxquelles je fais face mais plus facile encore de ne pas les voir. J’ai passé 15 ans de ma vie à développer ce projet. Je ne vais pas baisser les bras mais je réfléchis à d’autres activités. Je vis une vie de roman même si elle exige beaucoup de sacrifices » dit-il. Annick renchérit : « Une plantation est un investissement davantage sentimental. Chaque arbre planté (girofle, cannelle, ravintsara) paiera ma retraite plus tard. Mais je ne suis clairement pas vaccinée contre la corruption à Madagascar ».

C’est leur choix de vie. Tahina, et donc Betsara, sera voué au cadeau tant qu’il vivra sur place.

Après ce petit tour d’horizon de la corruption et de l’indispensable « réseau » sur lequel s’appuyer, un autre sujet fâche encore : l’alcoolisme. 

1.4. A Madagascar: gestion sociale et alcoolisme

Tahina sélectionne les ouvriers avec lesquels il travaille. Quand une faute est commise, l’ouvrier est systématiquement renvoyé pour montrer l’exemple. Ce n’est pas de la cruauté, cela a à voir avec la survie et la marche du projet. Les fautes sont en général commises quand les ouvriers arrivent imbibés d’alcool. C’est un véritable fléau. C’est ainsi que Tahina a dû sauver un de ses ouvriers de la noyade. « Je ne veux pas leur jeter la pierre, il y a toujours quelqu’un pour te proposer de boire un verre. Le refus est considéré comme du mépris. De plus, si un ouvrier gagne 7000 aryaris en une journée, il est capable de s’offrir une bière à 4000 ».

Pour se maintenir à distance de cette problématique, Tahina a trouvé la parade. Il évite le marché. Il n’a donc pas à refuser de verre. 

Nous avons tout de même partagé une bière THB. Au premier plan, la gamme des infusions Betsara

Heureusement, Tahina peut compter sur une personne au quotidien qui le soutient entièrement : Mbinina.

1.5. Tahina et son homme de confiance : Mbinina 

Quand il nous parle de Mbinina, Tahina ne tarit pas d’éloges. 

1.5.1. De gardien à responsable

Mbinina revient de loin. La résilience, il connaît. Le grand-père de Tahina était procureur et, en tant que tel, pouvait prétendre à 10 prisonniers qui travailleraient pour son compte. C’est ainsi que Mbinina a commencé à travailler dans la famille avec les chaînes aux pieds. Après avoir purgé sa peine, il est resté loyal au grand-père de Tahina et est resté à son service. 

Dans une continuité naturelle, Mbinina s’est mis au service de Tahina et a commencé en tant que gardien de la plantation en 2009. Il est aujourd’hui responsable de production. Monsieur Distillation, c’est lui. Il gère la production et l’organisation de la récolte « sans que je sois nécessairement là » précise Tahina. 

Dans une volonté de s’auto-développer, Mbinina a appris à lire et à écrire tout seul. Tahina dit que « s’il avait fait des études, il serait allé très loin. Au niveau calcul mental, ça fuse ». Il est toujours disponible et Tahina affirme que « c’est la seule personne en laquelle j’ai entièrement confiance. Je sais qu’il serait capable de se sacrifier pour moi ». (Les photos suivantes datent de 2013. Celle de gauche est le crédit de Betsara, celle de droite de Jan Novak Photography).

1.5.2. Bien traiter les gens

Mais Tahina le lui rend bien et le valorise autant qu’il le peut. Au-delà d’une rémunération mensuelle très correcte, Mbinina reçoit des cadeaux en nature : le gite et le couvert, des bonus en cas de travail de nuit par exemple. Tahina prend en charge les frais médicaux le cas échéant : Mbinina s’était récemment brûlé l’épaule au deuxième degré. 

Sur la plantation de ravintsara de Betsara (Sambahavy, Madagascar)
2024: la relation entre Tahina et Mbinina est forte, basée sur la confiance

Aujourd’hui, Tahina et Mbinina sont interdépendants : l’un comme l’autre a besoin de l’un et de l’autre. Tahina dit : « Je ne peux quantifier ce qu’il a fait pour moi. Cela n’a pas de valeur. C’est lui qui gère et prend le relais en cas de besoin, j’ai une confiance absolue en lui ». A bien traiter les gens, ils te le rendront. 

Sur la plantation de ravintsara de Betsara (Sambahavy, Madagascar)
Sur la plantation de ravintsara de Betsara (Sambahavy, Madagascar) – Tahina, Annick, Mbinina, Géraldine et moi

1.6. Petits producteurs et exportation

Tahina est un petit producteur de ravintsara. Petit pas au sens péjoratif mais au sens tel que j’entends le traiter dans ce blog : production artisanale, connaissance du terrain et éthique de travail. Mais une fois encore, j’aimerais évoquer les difficultés actuelles des petits producteurs à Madagascar dans un contexte totalement sclérosé et bouché. 

Soyez néanmoins rassurés, Tahina n’est pas seul dans son aventure, je vais y venir dans la suite de ce récit. Il n’est donc pas concerné directement par ce qui suit. Néanmoins, il connaît très bien le sujet. Et nous en avons amplement parlé. 

1.6.1 Huile essentielle de qualité standard

Les sociétés d’exportation sont malgaches et elles n’entretiennent aucun rapport avec les petits producteurs. Leur objectif est simplement d’acheter les huiles le moins cher possible, de les mélanger entre elles et d’en faire une huile essentielle de qualité standard. Je l’ai déjà écrit dans ce blog : le petit producteur n’a pas le choix que de vendre, le plus souvent à perte, car il a besoin de trésorerie. 

Madagascar est un terroir exceptionnel et les produits issus de cette terre sont en général de très belle qualité. Mais ce que les exportateurs en font laisse à désirer. Selon Tahina, il n’est pas rare « qu’un négociant ajoute de l’hydrolat, ou de l’huile essentielle de niaouli (moins chère à produire,) pour obtenir ses x tonnes requises ».

1.6.2 Producteur malgache dépourvu de trésorerie 

Un producteur malgache qui ne connait pas les rouages, et dépourvu de trésorerie ne peut pas lutter. Par ailleurs, il faut bien le dire : tout est complètement sclérosé à la tête de l’Etat qui organise ses petites combines entre amis et organise les filières agricoles à son gré. Et sans contact ni associé à l’étranger, l’exportation pour le petit producteur est et restera une idée, un concept. 

Annick dit que les petits producteurs « n’ont pas la manne financière pour fabriquer, stocker et vivre, en attendant des jours meilleurs. Ils n’ont aucune possibilité de négocier avec les exportateurs. Une mise en place d’une filière établie d’exportation avec les contacts et intermédiaires coûte très cher, les petits producteurs n’ont ni les moyens, ni les contacts pour y arriver ». Ils sont donc contraints de vendre à perte. 

C’est donc le client final qui a la responsabilité de son achat. En achetant à de grandes entreprises, qui ne se soucient pas toujours de l’éthique des produits, de la traçabilité et des histoires humaines liées à ceux-ci, le client contribue à la perpétuation de ces situations totalement injustes. 

Sur la plantation de ravintsara de Betsara (Sambahavy, Madagascar)
Sur la plantation de ravintsara de Betsara (Sambahavy, Madagascar)

1.7 Certification biologique

Lors de leurs visites sur le terrain, les agents de l’organisme de certification biologique, dont je tais le nom et qui profite d’une situation de quasi-monopole à Madagascar, arrivent avec leurs cahiers, leurs données GPS et « leurs souliers en croco ».

Ils passent une demi-journée sur la plantation, vérifient qu’il n’y ait pas d’intrants chimiques aux alentours (même si la législation européenne bio permet un pourcentage minimal d’intrant), font des analyses de terrain et prélèvent de la terre soi-disant pour en faire une analyse en laboratoire (que le producteur finance). Finalement, selon Annick : « Ils s’assurent à minima de la traçabilité, revoient les fiches de stocks, vérifient qu’il n’y a pas de tricherie dans le ratio exportations / capacités de production. Les agents rapportent que tout va bien et gardent l’argent. En tant que producteur, ce cirque te coûte 3000 euros ».

Il est vrai qu’au milieu de cette plantation de ravintsara, au milieu de nulle part, aucune industrie présente, la question se pose toujours : y a-t-il plus bio que bio ? Sur la plantation, tout est réalisé à la main et sans intrants. Néanmoins, la certification bio est un prérequis pour la clientèle européenne. Et je me mets dans le lot en écrivant ceci : cette appellation donne bonne conscience aux clients et contribue à les rassurer.  

Sur la plantation de ravintsara de Betsara (Sambahavy, Madagascar)
Plantation de ravintsara Betsara, Madagascar – Plus bio que bio ?

1.8. Salaire des ouvriers

1.8.1 Indexation au prix du riz

Annick indexe le prix des salaires qu’elle verse à ses ouvriers au prix du riz et des haricots secs. Les légumineuses représentent un apport de protéines important dans le régime alimentaire des Malgaches. Et Madagascar n’est pas épargnée par l’augmentation générale des prix. Et puis, dit Tahina, « franchement, quand on voit des salaires à 60.000 aryaris par mois (soit 15 euros) alors que le kapok de riz est à 800 aryaris (20 centimes) désormais. Mbinina mange 2 kapoks en un repas ! ». Et il ne s’agit que du riz, la base de la subsistance quotidienne à Madagascar. Il y a aussi les familles à nourrir.

1.8.2. Smic malgache

Tahina pense que les ouvriers agricoles sont en général mal payés. 

1.8.2.1. Anecdote sur le canal des Pangalanes

Et c’est là où je partage une anecdote qui m’a été racontée. Lors d’une balade sur le canal des Pangalanes, j’ai eu l’occasion de parler avec le capitaine du bateau et son cousin qui l’accompagnait. Les deux hommes, éduqués et francophones, ont été tout à fait francs et ont partagé leur désarroi face à la situation globale catastrophique à Madagascar. Selon eux, le pays stagne à cause du manque d’éducation et, par conséquent, du manque de prise d’initiative. Le cousin, contremaître dans une usine à Tamatave, ayant une équipe à gérer d’environ 50 personnes m’a dit que son salaire mensuel s’élevait à 300.000 aryaris (environ 75 euros). Cette somme équivaut à peine au SMIC malgache ; le SMIC est officiel mais loin d’être appliqué. 

Avec le capitaine du bateau face à l’océan Indien dans lequel se jette le canal des Pangalanes
1.8.2.2. Salaires versés et autres dépenses

Annick verse aux gardiens de sa plantation ce même salaire au même titre que Tahina son homme de confiance, Mbinina. Pour des ouvriers agricoles, ce sont de beaux salaires, beaucoup moins pour un chef d’équipe qui vit en ville. 

Par ailleurs, Annick et Tahina prennent en charge beaucoup d’autres dépenses comme les transferts d’argent aux familles, la nourriture, le logement, etc. Cela représente un gros avantage pour leurs ouvriers, c’est évident. 

1.8.2.3. La jalousie 

Ici, s’ajoute aussi une autre variante : la jalousie que peut susciter une bonne situation par rapport à celle du voisin. Annick leur verse « un petit argent de poche pour faire la fête avec les amis ».  Leurs ouvriers sont jalousés alors il est nécessaire de leur permettre d’offrir un coup à boire aux autres afin de garder le lien avec le reste de la communauté. Il faut sacrément connaître le terrain et les mentalités malgaches pour en arriver là : Annick et Tahina en ont pleinement conscience.

Tahina ajoute que « pour la fête nationale, j’ai offert à mes ouvriers des tee-shirts. Ils étaient trop fiers d’aller au marché avec. Les gens s’exclament en les voyant : Oh ce sont les ouvriers de Tahina, le petit milliardaire ! Cela me rend fier de pouvoir créer ainsi cet esprit d’équipe ».

Il faut faire attention à tout et à tout le monde. Cela me paraît complètement dingue et certainement épuisant. Je suis très impressionnée par la capacité d’Annick et Tahina d’avoir cette vision sociale très large et la patience nécessaire au quotidien de gérer ces aspects sociaux. 

Néanmoins, il s’agit de toujours marcher sur des œufs. La jalousie des uns envers les autres existe malgré le coup à boire offert. Et Annick témoigne : « J’ai l’impression qu’ils aiment être jalousés et aiment se montrer car ils gagnent bien leur vie grâce à la plantation. On représente une sorte de fierté mais il faut bien le gérer ».

Sur la plantation de ravintsara de Betsara (Sambahavy, Madagascar)
1.8.2.4. La pédagogie ne marche pas

Oui, cela représente une sacrée pression sur les épaules de nos amis Annick et Tahina. Ils font tous les deux ce qu’ils peuvent dans la mesure de leurs possibilités. Mais ils ne peuvent pas tout gérer encore moins tout accepter. Ils se doivent de maintenir un cap, pour ne pas se laisser dépasser et surtout, pour se faire respecter. 

Aux yeux de leurs personnels, tout est gagné et acquis. Mais eux aussi font face à des difficultés que nous avons évoquées tout au long de cet article. Alors Annick ajoute : « À tout moment, je peux décider d’éjecter quelqu’un si son comportement n’est pas adéquat. Et ma décision est toujours irrévocable. Malgré leurs supplications, je ne me laisse pas attendrir. Cela serait la fin pour moi ».  

Dans ma naïveté, j’ai beaucoup prôné la pédagogie : « La pédagogie est importante, il faut prendre le temps d’expliquer et d’éduquer ». Et mes amis m’ont souvent reprise en me disant que cela ne marche pas comme en France. Difficile pour moi de penser que la pédagogie ne serve à rien … Je suis trop occidentale. 

Sur la plantation de ravintsara Betsara à Madagascar
Plantation de ravintsara chez Betsara, Madagascar – Géraldine qui me répète que la pédagogie ne sert à rien ….

1.9 Le prix du flacon d’huile essentielle 

1.9.1. Le juste prix

Tahina témoigne au sujet du prix du flacon d’huile essentielle de ravintsara : « Il faut être honnête, il n’est pas possible d’avoir un prix de vente à 5 euros les 10 ml.  Un prix correct et normal se situe entre 8 et 12 euros les 10 ml en fonction du packaging et de la qualité. Il faut bien que les producteurs à Madagascar aient leur part du gâteau eux aussi ».

Au moment d’acheter un flacon d’huile essentielle, il serait bien de se rappeler ce qui suit : 

Être petit producteur nécessite un travail sur le terrain de titan avec son cortège de tracas quotidiens. Beaucoup d’incertitudes, de courage, de volonté et un brin de chance. Acheter des huiles essentielles au juste prix devrait constituer le plaisir de soutenir ces personnes qui se démènent. Derrière, il y a des histoires, des vraies personnes, des familles qui en vivent. Acheter au juste prix revient à soutenir ces efforts.

Sur la plantation de ravintsara de Betsara (Sambahavy, Madagascar)
Sur la plantation de ravintsara de Betsara (Sambahavy, Madagascar)

1.9.2. Chaîne de valeur respectée

Tahina est transparent sur les prix. Il part du principe que cette transparence associée à la connaissance de la réalité du terrain est un moyen d’éduquer le consommateur final (j’espère y contribuer également à ma manière). Et ce qu’il prône pour les autres, il se l’applique à lui-même : il achète les feuilles séchées à 700 aryaris (ar) le kilo alors que le prix d’achat habituel se situe autour de 100 ar le même kilo (j’en parle dans la deuxième partie de cet article au niveau de la production). Il précise que « les gens sont contents de travailler avec moi, ils doivent vivre. A 100 ar, je ne vois pas que ce que peuvent faire les ouvriers ». 

En maintenant des prix de vente et d’achat corrects et justes, la répartition et la chaîne de valeur est respectée. Chacun fait sa part et reçoit en conséquence. Mais il est vrai que la force de Betsara réside dans l’équipe franco-malgache : la partie production s’en sort car la partie commerciale en France se bat pour faire respecter l’ensemble de la chaine de valeur. « J’ai aussi la chance de pouvoir payer correctement mes fournisseurs car mes associés en France se battent pour faire respecter les prix (10,9 euros les 10 ml) » dit Tahina. 

Les gens doivent être conscients de toutes les histoires sous-jacentes présentes dans le flacon.

J’en ai fini avec cette première partie. Que vous inspire l’histoire de Tahina, de Mbinina et généralement de cette vie de producteur à Madagascar ? Etes-vous prêts à payer votre flacon d’huile essentielle le prix juste et nécessaire ? Dites-moi tout en commentaires, c’est toujours un plaisir de vous lire.

Si vous avez aimé l'article, vous êtes libre de le partager :)

2 Replies to “Betsara : plantation de ravintsara à Madagascar (1/2)”

  1. Encore une belle histoire vecu. Merci Johanne, une vrai aventuriere.

    1. merci pour ton éternel soutien.

Laisser un commentaire