Les Senteurs du Claut vous connaissez ? C’est une distillerie d’huiles essentielles gĂ©rĂ©e par Christophe Cottereau. Mais pas n’importe lesquelles ! Un chapeau de paille vissĂ© sur la tĂŞte et toujours torse nu, Christophe Cottereau distille des huiles essentielles de bonheur.Â
J’ai eu le privilège de passer une semaine aux Senteurs du Claut lors de mon stage annuel avec Michel Faucon et ma bande de copines. La distillerie et les chambres d’hôtes sont nichées très en haut de la vallée de la Tinée, au sein du parc du Mercantour. Une oasis de paix et de bonheur logé dans l’arrière-pays niçois.
Je décompose cet hommage en trois ou quatre articles (je ne sais pas encore au moment où je publie). Le premier vous présente la mission de Christophe au sein du Syndicat des Simples mais surtout son métier de cueilleur ou plutôt, devrais-je dire, de tailleur de plantes sauvages. C’est l’occasion de partager également les observations des phénomènes naturels actuels qui affectent les cycles normaux habituels des plantes.
1. Les senteurs du Claut : des histoires de bonheur
1.1. Sylviane et Alain, les fondateursÂ
Les Senteurs du Claut, ce sont des histoires et des personnes de bonheur. D’abord, ce sont Sylviane et Alain qui en 1996 tombent amoureux du lieu, le rénovent, réhabilitent les restanques d’oliviers, créent la distillerie, imaginent l’alambic, démarrent des cultures de plantes, réalisent une première production d’huile essentielle de Laurier Noble, etc. Les produits sont estampillés bio, Nature & Progrès et SIMPLES. La qualité et l’éthique sont des valeurs hautement portées individuellement par Sylviane et Alain et donc, par les Senteurs du Claut.
1.2. Christophe Cottereau, distillateur de bonheur
Christophe Cottereau, ingénieur en environnement, entre en scène en 2009. Tout doucement, il se forme auprès d’Alain (Sylviane a développé une partie produits cosmétiques pendant ce temps-là ) et pas à pas, reprend l’affaire. En 2019, notre joli couple se retire de l’activité et Christophe est seul aux rênes des Senteurs du Claut soutenu tout de même par deux employées qui gèrent la partie création cosmétique et administrative.
Christophe, lui se dédie principalement au travail du terrain soit gestion des cultures, cueillette et distillation.
Le message principal que Christophe a souhaité nous passer concerne la cueillette. Les Senteurs du Claut font partie du Syndicat des SIMPLES qui en fait son étendard. Voyons voir de quoi il s’agit.
2. Mission du Syndicat des SIMPLES
Le Syndicat des SIMPLES existe depuis une quarantaine d’années et a été créé par et pour les producteurs de plantes. Il a pour mission de restaurer le lien entre la terre, le producteur et le consommateur. L’idée est de pouvoir se regrouper, s’unir pour valoriser les métiers de la terre et faire reconnaître le métier de paysan-ne-herboriste.
2.1. Réseau de producteurs et productrices de PPAM
S’unir pour militer et résister, c’est plus facile. Le syndicat des SIMPLES se veut un espace d’échange de pratiques, de soutien et d’entraide. Il a une vocation pédagogique avec 20 formations certifiées QUALIOPI.
2.2. Évolution de la règlementation
Le syndicat des SIMPLES permet de s’unir pour faire évoluer la réglementation : plantes au monopole pharmaceutique, reconnaissance du métier de paysan-ne-herboriste, réformes agricoles non adaptées aux petites surfaces, etc.
2.3. Cahier des chargesÂ
Il préconise une agriculture respectueuse de l’environnement et du vivant. Il encadre rigoureusement chaque étape de la production et sert de référence à la démarche SIMPLES. La culture doit se faire sur des petites parcelles, le travail de cueillette est intégralement réalisé manuellement et la traçabilité doit être transparente. C’est une garantie de qualité pour le consommateur. Chaque producteur s’engage à le respecter.
2.4. Mention Simples
Un contrôle annuel interne valide la conformité au cahier des charges et délivre le droit d’apposer la mention SIMPLES pour la production.
Les SIMPLES, c’est aussi une mention dédiée à l’excellence.
Mais allons voir comment la cueillette est réalisée par Christophe.
3. La cueillette by les Senteurs du Claut
3.1. Autorisations de cueillette
Premièrement, pour obtenir des huiles essentielles de bonheur, il est impératif d’obtenir les autorisations de cueillette. Il faut protéger la plante, le propriétaire et le cueilleur. Par ailleurs, il est nécessaire de laisser de belles touffes pour les laisser monter en graines et ainsi préserver le peuplement.
« On ne peut prĂ©tendre arriver et tout dĂ©vaster » dit Christophe. C’est tout simplement du bon sens…
3.2. Respect du vivantÂ
Christophe essaie de « respecter le vivant sous toutes ses formes ». Par exemple, une touffe de lavande doit être taillée respectueusement. Pour récupérer la partie pleine d’essence, il faut strictement tailler la partie nouvelle de l’année. Arrondie joliment dans la douceur, sa coupe doit être claire et nette. Pas de coupe rase, ni de coupe de la partie ligneuse : la lavande souffrira moins. Et repartira plus facilement l’année prochaine.
3.3. Tailleur de plante
Christophe se dit « tailleur de plante, pas simplement cueilleur » et précise qu’il « ne fait pas de cueillette sauvage de plantes mais de la cueillette de plantes sauvages ».
Christophe ne demande jamais à ses saisonniers de récolter X kilos de plantes. « Je ne peux pas fonctionner comme cela, je préfère que l’on taille la plante et ensuite on verra la quantité récoltée ». Il précise qu’il est facile de « glisser dans de la prédation plutôt que du soin ».
3.4. Le geste de la cueilletteÂ
Il insiste sur le geste de la cueillette : « il faut un geste soin, en conscience ».
Les parties ligneuses ne doivent pas être taillées. Il est préférable de ne pas tirer sur la plante pour ne pas la fragiliser en l’arrachant. La posture doit être souple : le risque de créer des tensions dans les poignets est grand.
Christophe dit que « la faucille doit agir telle une caresse, qu’un rythme doit se créer, toujours en souplesse ». L’économie de gestes est très importante. Sous le soleil, avec des kilos de plantes qui s’accumulent dans le bourra, il faut apprendre à être dans la nuance et dans le respect de soi aussi.
3.5. Présence à Soi
A le regarder, cela semble facile mais je vous assure que cela n’a rien d’évident. Christophe explique son geste, « sans tension, ou le moins possible ». Pas de coupe en « mode guerrier pour faire du poids à tout prix » mais de la « souplesse, un équilibre entre lâcher-prise et la présence à Soi, à ce que je suis en train de faire ».
Certes, cela peut paraître difficile et fatigant, certes, il y a des cueillettes plus difficiles que d’autres, et souvent sous un soleil accablant ou dans des conditions pas toujours aisées.
Néanmoins, Christophe raconte, et je le crois sur parole : « L’olfaction des plantes sauvages et leurs odeurs nous invitent au temps présent ». Et au-delà de l’importance du respect du Vivant, « si je ne suis pas présent ici et maintenant, le risque de se couper et se faire mal » est grand.
3.6. Le bourra : l’économie de gestes
Le bourra, un simple drap traditionnellement utilisé et noué savamment, permet d’insérer les plantes sans les tasser au fur et à mesure de la cueillette avec une économie de gestes. Cependant, il finit par peser un certain poids. Christophe n’a jamais son pick-up très loin, alors il déploie son bourra, décompacte les plantes pour les aérer et les transporte le plus rapidement possible à la distillerie pour éviter qu’elles ne fermentent.
Et le cycle des distillations commence alors car comme il précise : « Toutes les minutes perdues sont des heures de sommeil en moins ». Et au plus fort d’une saison de distillation, la récupération physique et le sommeil sont primordiaux.
Vous voyez le travail nĂ©cessaire pour que nous puissions bĂ©nĂ©ficier d’huiles essentielles de bonheur ?
3.7. Pollinisateurs et contraintes
Les plantes aromatiques synthétisent leurs essences la nuit. Elles permettent de lutter contre le stress environnemental. Par ailleurs, ces essences sont très souvent stockées dans les fleurs.
Pour la distillation par entrainement à la vapeur d’eau, le stade végétatif optimal pour tailler les plantes aromatiques, notamment les lamiacées (lavandes, romarin, thyms, sauges, etc…) est celui où les fleurs ont légèrement pré-fané. C’est également le stade où les plantes aromatiques contiennent le plus d’essences.
Cette contrainte de cueillette offre le temps aux pollinisateurs de faire leur ouvrage en amont. Et ainsi participer activement à la pérennité des plantes aromatiques du site.
4. DĂ©règlements climatiquesÂ
Canicule, manque de neige l’hiver, printemps pluvieux et caniculaires : les signes de dérèglements ne manquent pas. Cette situation nous amène d’autant plus à prendre soin du Vivant, cela devient plus que stratégique. « Nous n’avons plus le droit à l’erreur » dit Christophe.
4 .1. Gel tardif et fluctuations de température
Les débuts d’année sont de plus en plus chauds et il y a de moins en moins de neige pendant l’hiver. Il n’est pas rare qu’un épisode de froid et de gel tardif ratatine les plantes déjà en développement végétatif. Et puis, cela repart sur un temps habituel pour la saison c’est-à -dire souvent sans transition dans cette région : la chaleur. Les plantes résistent difficilement à ces épisodes fluctuants.
4.2. Hiver : neige et azote
En revanche, les hivers neigeux sont propices à une belle amorce de saison. La neige apporte beaucoup d’azote au sol. Les plantes en profitent et cela permet généralement d’avoir une belle récolte l’été suivant (quand il n’y a pas d’épisode de gel tardif) et donc des produits finaux de belle qualité. Cela concerne évidemment les récoltes sauvages.
4.3. Lavandes d’altitude
Les lavandes sauvages d’altitude (1.200 à 1.800 m) pâtissent de ces fluctuations. Quand arrive un épisode de gel tardif, elles deviennent grises et semblent déjà passées avant même qu’elles aient pu conclure leur cycle floral entier. Christophe ajoute toute de même que « les végétaux ont une capacité de résilience et d’adaptation très grande. Visuellement, elles semblaient comme mortes mais un peu de rosée leur suffira à reprendre des couleurs et à se maintenir ».
Christophe s’interroge sur la capacité d’adaptation et de résilience des plantes au regard de l’impact grandissant des épiphénomènes climatiques.
4.4. Thym
Il y a une trentaine d’années, le thym poussait à profusion et produisait annuellement de longues tiges vertes de 20 cm. Aujourd’hui, Christophe témoigne que « sous réserve que je ne vienne pas tous les ans, les tiges vertes de l’année ne dépassent pas 3 à 4 cm ». Il précise néanmoins que « le fait de tailler le thym aura certainement un impact sur son comportement mais ne plus avoir de pousses annuelles de 20 cm pourrait bien être une conséquence du stress hydrique ».
4.5. Genévrier commun
A l’époque, le genévrier commun sauvage était très facile à trouver même si de coupe délicate : il pique beaucoup ! Néanmoins, depuis 6 ou 7 ans, Christophe n’en récolte plus car les baies sont de plus en plus petites. Elles avaient un diamètre de 5 à 6 millimètres alors qu’aujourd’hui, les baies dépassent difficilement les 2 à 3 millimètres de diamètre. Christophe constate avec tristesse que « les genévriers semblent en souffrance ».
4.6. Oranger (fleurs)
Quand Christophe a repris l’activité des Senteurs du Claut, les fleurs d’oranger s’épanouissaient à coup sûr entre le 5 et le 10 mai de chaque année. Maintenant, la floraison advient beaucoup plus tôt : entre le 15 et le 25 avril.
La leçon qu’en tire Christophe ?
« Être attentif aux cycles changeants des végétaux fait partie intégrante de la difficulté de ce métier. Rien n’est certain, tout est fluctuant ». La Nature est impermanente ; la fragilisation des métiers de la Terre bien réelle.
Voici pour cette première partie qui dresse un portrait d’ensemble de l’activitĂ© de Christophe Cottereau des Senteurs du Claut. Cela vous a t’il enseignĂ© quelque chose ? Si oui, quoi ? Partagez le en commentaire, je serai heureuse de vous lire et vous rĂ©pondre si toutefois j’en suis capable !
Au prochain Ă©pisode, j’aborderai plus particulièrement la distillation et les plantes qui sont cultivĂ©es sur le domaine des Senteurs du Claut.
J`adore l`article et les photos! Surtout Johanne en déesse.
ahaha merci !!! C’est l’effet bourra !!