Le trek des essentielles et sa pensée référente: tisser des liens (2/3)

« Aies confiance, Johanne, ce que tu fais est difficile, mais cela est utile à beaucoup, cela a du sens. Le tissage de liens aromatiques est une activité magnifique ! ».

Voici ce que m’écrivait mon cher ami Michel Faucon lorsque j’ai initié ce blog Le trek des essentielles. Je vous envoie ici à cet article de 2022 dans lequel je vous expliquais les conditions qui m’ont menée à entamer ce projet. Par ailleurs, je garde toujours en tête ce compliment de Silvia, distillatrice espagnole et fondatrice de Savia Ibera, qui m’avait surnommée la « tejedora aromatica » ou tisseuse aromatique. 

Je crois que la force du trek des essentielles, sa pensée référente selon les termes de Michel Faucon, réside en cela : savoir créér des ponts, s’appliquer à tisser des liens et mettre de la lumière sur ces artisans de la belle aromathérapie. 

Pensée référente du trek des essentielles : tisser des liens

Le trek des essentielles et Michel Faucon

Je profite de cette occasion pour remercier une fois encore, et de tout mon cœur, mon enseignant et ami Michel Faucon. Sans lui le trek des essentielles n’aurait pu prétendre à ce niveau. Il fait partie intégralement de mon aventure du trek des essentielles. Sans sa présence indéfectible, ces liens aromatiques n’auraient pu être complètement noués. C’est un cheminement que nous avons vécu ensemble en fait, chacun ayant à cœur de mettre au jour la beauté et la valoriser. Nous avons avancé de concert, nous nous sommes nourris et inspirés l’un de l’autre. Je suis honorée d’avoir aujourd’hui la confiance de Michel ainsi que son amitié. 

Je suis fière de mettre ou remettre en exergue, ci-dessous, certains de ces liens qui méritent une attention particulière. L’accueil bienveillant de Michel Faucon a permis de respecter la pensée référente du trek des essentielles, soit tisser des liens. Avec des dénouements positifs que je vais vous exposer.

Savia Ibera et l’huile essentielle de thym ibérique

Silvia et Kurt, distillateurs et fondateurs de Savia Ibera, distillent un superbe thym ibérique baptisé « tomillo Hoz ». Cette huile essentielle de thym ibérique m’avait conquise tout comme son histoire rapportée par Silvia. J’avais donc ramené un flacon à Michel Faucon, pour lui faire découvrir cette pépite aromatique et olfactive. Enthousiasmé de même par cette huile essentielle de thym ibérique, il l’avait alors mis à l’honneur dans son dernier ouvrage Approches sensorielles en aromathérapie. Il faut dire que la composition biochimique de cette belle huile essentielle de thym ibérique est très proche du fameux Tea Tree (Melaleuca alternifolia). Ce dernier provient le plus souvent d’Australie. Nous nous interrogions alors sur la valeur et l’importance d’utiliser des huiles distillées localement. Toutefois, nous n’avons pu ni su y apporter une réponse tranchée. 

Michel Faucon
Je lui remets les huiles essentielles de Savia Ibera

Savia Ibera a été la première visite réalisée au nom du trek des essentielles ; elle s’achevait par un franc succès. La pensée référente du trek des essentielles prenait forme. Le premier lien était tissé : Savia Ibera entrait dans la littérature francophone de l’aromathérapie. La suite de l’aventure présageait du bon. 

Aromathérapie française et le marché aromatique sud-coréen

Le deuxième exemple de ces liens aromatiques patiemment tissés réside se déroule sur en Corée du Sud. Mon travail de recherche et de partage, couplé à l’ouverture d’esprit de Michel Faucon, a ouvert ce marché à certains distillateurs. Ils y ont ainsi réalisé leurs premiers pas. Il faut savoir que Yhenhi Kang a fondé la filiale sud-coréenne de l’école Aroma-Sciences. A sa demande, Michel Faucon a développé, et continue de le faire évoluer, un kit d’huiles essentielles artisanales françaises. Ces huiles essentielles sont rigoureusement sélectionnées chez des distillateurs français que nous connaissons fort bien. J’en nommerai ici quelques-uns que j’ai eu l’honneur de faire découvrir à Michel : Boèmia, Floraluna, Le Sourceur entre autres.

Lors de la Master Class en aromathérapie scientifique et sensorielle organisée par Yhenhi en janvier 2024, nous avons mis en valeur ces distillateurs. L’occasion de valoriser et leur savoir-faire auprès du public participant. 

J’aimerais ajouter néanmoins une chose importante. Notre présentation des distillateurs, en toute transparence, a joué un rôle à double tranchant pour Yhenhi. D’une part, cela a certes apporté une grande valeur ajoutée au contenu de la Master Class. D’autre part, cela a participé au vol d’idées par des personnes mal intentionnées. Nous remercions nos amis distillateurs de respecter ce tissage commun. Simplement en restant fidèles à Yhenhi, unique porte d’accès pour la Corée du Sud.

Initiation à l’aromathérapie scientifique et médicale : de France à Madagascar

J’ai rencontré Fanja en novembre 2022 lors de mon premier voyage à Madagascar. Plus précisément lors d’une journée de formation à l’IMRA dispensée par feu Didier Ramiandrasoa. Je suis restée subjuguée par cette femme qui me semblait être la bonté incarnée. Fanja est pasteure, membre éminent de l’organisation internationale de la Croix Bleue et distillatrice à ses heures perdues. En cette période froide, je soutiens mon immunité grâce à sa magnifique huile essentielle de ravintsara. Cette femme Sage, à la parole impeccable, ressemble à une princesse indienne tout droit sortie d’un livre de contes orientaux (avec un joli chapeau de paille sur la tête). 

Fanja et moi dans une échoppe malgache, avril 2024.
Fanja et moi dans une échoppe malgache, avril 2024

Lors de mon dernier voyage à Madagascar, Fanja m’a accompagnée à Ambohitsara sur la plantation d’Astérale. C’était formidable de se retrouver dans ce contexte incroyable.

A l’occasion de nos retrouvailles, je souhaitais lui faire une surprise. A ma demande, Michel Faucon a spécialement dédicacé pour Fanja son ouvrage Initiation à l’aromathérapie scientifique et médicale : soigner avec les huiles essentielles. 

Ce livre dans mon sac à dos, il a donc été remis en main propre à ma belle amie. Une autre manière de valoriser la pensée référente du trek des essentielles. Tisser des liens par la transmission de la Connaissance aromatique de la France vers Madagascar. 

Huile essentielle de poivre sauvage et la réédition du Traité d’Aromathérapie

Et voici ma cerise sur le gâteau et ce, toujours grâce à l’ouverture d’esprit de Michel Faucon. Avant de vous dire pourquoi j’évoque en titre la réédition du Traité d’Aromathérapie, je vais vous raconter une autre histoire. Vous vous souvenez de mon amie Annick ? Pour rappel, je l’avais rencontrée en novembre 2022 lors de mon premier voyage à Madagascar (je vous renvoie à ces trois articles: Annick 1, Annick 2 et Annick 3). Depuis lors, nous sommes régulièrement en contact. Nous nous sommes revues à deux occasions : à Madagascar (avril 2024) et en Bourgogne (mai 2024). 

A Madagascar

L’objectif principal de mon deuxième voyage à Madagascar (avril 2024) était de de me rendre sur la plantation d’Annick. Nous l’organisions depuis plus d’un an. Seulement, les intempéries que la côte Est a subies à ce même moment nous ont contraintes à renoncer. Les pistes étaient totalement impraticables, nous risquions de nous y embourber sévèrement. Néanmoins, nous avions tout de même prévu qu’Annick remonterait avec nous jusqu’à Antananarivo. Cela nous a permis de passer cinq journées ensemble malgré tout. 

Annick, Géraldine et moi, Hôtel du Lac, Sambahavy (Madagascar)
En Bourgogne 

Lors de son retour en France, je suis évidemment allée lui rendre visite. Comme Annick me l’avait promis, elle m’a remis des échantillons de son huile essentielle de poivre sauvage (très rare) distillée en 2019. Ses huiles essentielles sont principalement entreposées en Bourgogne chez un ami. Une fois n’est pas coutume, j’ai fait découvrir cette huile essentielle de poivre sauvage à Michel Faucon.

Néanmoins, avant d’arriver dans le vif du sujet, une digression au sujet de l’huile essentielle de poivre sauvage (Tsiperifery en nom vernaculaire malgache) est nécessaire. Il est important que vous compreniez le contexte. 

Poivre sauvage épices 
Poivre sauvage sous forme d’épices

En 2019, Annick produisait encore des huiles essentielles et fournissait également des plantes sous forme d’épices (cannelle, citronnelle, etc). Son activité a toutefois drastiquement évolué depuis lors faute de débouchés sur le sol malgache. Mandatée par une société d’épices basée en France pour fournir 100 kilos de poivre sauvage sous forme d’épices, Annick avait initié sa recherche sans bien en connaître les tenants et les aboutissants. 

Poivre sauvage : estimation du poids frais puis sec

Après diverses recherches, elle s’est un jour retrouvée seule avec des villageois au fin fond de la forêt. Annick m’a avoué en évoquant cette histoire : « Je me suis sentie très mal à l’aise car il n’est pas rare que des meurtres soient commis si la personne est considérée riche ».

Néanmoins, Annick, toujours fine mouche, s’est d’abord engagée sur 20 kilos de poivre sauvage frais (plutôt que les 100 requis). Cette approche prudente lui permettait d’estimer le poids frais puis sec afin d’établir un rendement puis un prix de revient.  

Annick et son huile essentielle de poivre sauvage (Tsiperifery) distillée en 2019
Poivre sauvage : ressource en péril et accès compliqué

Il ne lui a pas fallu longtemps pour se rendre compte que le poivre sauvage est une ressource en péril. De plus, y accéder est très compliqué dans tous les sens du terme : 

  • Localisation au fin fond des forêts malgaches, 
  • Nombre élevé d’intermédiaires avant d’accéder à la ressource augmentant automatiquement les frais. En me racontant cette histoire, elle m’a dit en riant qu’« il y avait plus d’intermédiaires que de villageois »,
  • Existence d’une règlementation officielle des Eaux et Forêts sur le poivre sauvage (ce qu’Annick ignorait alors).
Poivre sauvage : saccage de la ressource

De plus, Annick constate à ses dépens que la cueillette est bâclée. Les villageois n’ont que faire du distinguo entre cueillir les grappes mûres et laisser en place les grappes non mûres. Trop tard, elle assiste avec impuissance au saccage de la ressource. Les lianes sont arrachées, les grappes vertes ou mûres allègrement mélangées. Ces villageois n’avaient que faire de ce détail : plus vite l’argent est gagné, plus vite on peut le dépenser au marché. Rien à faire de la qualité pourvu qu’on ait la quantité. 

Par ailleurs, Annick témoigne que ce sont des enfants qui grimpent aux arbres pour cueillir le poivre sauvage. Son intuition lui souffle alors que le poivre sauvage n’est décidément pas un bon plan.

Poivre sauvage : épice non rentable

Néanmoins, Annick n’a pu que constater le désastre. Ne pouvant se désister au risque de se faire agresser, Annick repart avec vingt kilos de poivre sauvage frais sous le bras. Au-delà de sa récolte inexploitable, constituée d’un mélange de grains mûrs et de grains immatures imbibés d’eau, son constat était sans appel :

  • De l’argent investi en pure perte (ou en grains gorgés d’eau), 
  • Une ressource endémique à protéger à tout prix, 
  • Un travail dangereux réalisé par des enfants aux mains et pieds nus tout en-haut de grands arbres tuteurs. 

De plus, le couperet est tombé d’autant plus fortement que le prix de l’exportation vers la France atteignait un coût astronomique. Alors que le rendement constaté par Annick était de 3 kilos frais pour 1 kilo sec. Le poivre sauvage s’est révélé une épice absolument non rentable.

Alors « j’ai distillé le poivre sauvage séché après avoir trié les grains » dit Annick. Et c’est là où je voulais en venir. 

En bas, les grains cueillis immatures, vidés de toute substance une fois secs.
Huile essentielle de poivre sauvage dans la réédition du Traité d’Aromathérapie

Voilà l’histoire de cette huile essentielle de poivre sauvage et pourquoi j’ai la chance de l’avoir en ma possession. Je l’ai donc fait découvrir à Michel Faucon. Et c’est là où je suis heureuse comme tout. Il va l’intégrer dans la prochaine réédition de son Traité d’Aromathérapie. Dans une monographie spécifique à côté de celle du poivre noir (Piper nigrum).

Filière de l’huile essentielle de poivre sauvage

Ne vous méprenez pas néanmoins. En aucun cas, l’introduction de cette huile de poivre sauvage n’a pour objectif d’en faire la promotion. Nous avons hésité à le présenter car cette filière de l’huile essentielle de poivre sauvage n’est absolument pas viable. Elle devrait faire l’objet d’une règlementation rigoureuse et stricte. Des travaux d’étude sur la mise en culture sont en cours à Madagascar mais le chemin est encore long. Sans parler des variétés de poivre sauvage existantes et du long travail de définition botanique qui reste à ce jour encore à faire. 

Mon amie Annick a une conscience très aigüe des problématiques environnementales et du contexte social ardu dans lequel elle évolue à Madagascar. L’expérience qu’elle a mené cette unique fois sur le poivre sauvage lui a permis, et à nous aujourd’hui, de mettre en évidence encore une fois l’importance de bien choisir la provenance de nos huiles essentielles tout comme le contexte de leur production. 

Annick trie les grains immatures et matures qu’elle n’avait pas distillés en 2019

Malheureusement cela vaut pour tout de nos jours. De l’origine du coton de votre tee-shirt ou de celle des fèves de cacao composant votre tablette de chocolat préférée. Sans parler du saumon soi-disant sauvage que vous avez mis sur votre table à Noël. Alors, cette histoire de poivre sauvage nous permet de créer de la Connaissance nouvelle.

De la Connaissance nouvelle pour consommateur averti

La démarche recherchée est plutôt de proposer de la Connaissance nouvelle telle que je l’entends. Partager des idées, des informations résultant de recherches, d’observations ou de réflexions qui permettent d’approfondir notre compréhension d’un sujet, d’une situation ou d’un phénomène.

Elle vise à mettre en lumière et à informer le consommateur averti (ou consommatrice avertie) que nous devrions tous être. Notre société est devenue tellement complexe, la mondialisation nous perd dans ses circuits. Pourtant, nos décisions d’achat devraient être réfléchies, analysées et toujours mises en perspective. Mais, cette démarche requiert un effort d’information au quotidien épuisant et très culpabilisant. Néanmoins, commençons par y porter notre attention, développer notre sens critique, nous interroger, mettre en perspective et faire preuve de discernement. Au fur et à mesure, nous développerons notre capacité à faire le tri. Nous nous auto-éduquerons et notre alarme intérieure s’allumera. Cela sera un premier pas. Puis l’un après l’autre. Ne perdons pas espoir. 

Filière de poivre sauvage épices

Après cette parenthèse, et pour en revenir à notre poivre sauvage, bien qu’il n’y ait pas de filière d’huile essentielle de poivre sauvage pour les raisons évoquées ci-dessus, il n’en reste pas moins que l’épice, elle, se trouve dans le commerce. Raison de plus pour s’informer avant d’acheter. S’assurer que le poivre sauvage épice est bien issu d’une production raisonnée et raisonnable. 

Je conclus maintenant cet hommage à Michel Faucon, dont le rôle est primordial pour le trek des essentielles. Je suis aussi très heureuse pour mon amie Annick dont le nom sera mentionné dans la réédition du traité d’Aromathérapie. Excusez-moi pour cette circonvolution mais vous raconter cette histoire autour du poivre sauvage me tenait à coeur. Cela illustre parfaitement cette quête du trek des essentielles: tisser des liens et respecter la pensée référente du trek des essentielles.

La cerise sur mon gâteau. 

Et pour finir en beauté cet article, je vous propose une courte vidéo dans laquelle on voit Annick m’expliquer la différence entre grain de poivre sauvage cueilli mature et grain de poivre sauvage cueilli immature. De plus, à défaut d’avoir pu boire le café sur sa plantation de Manaraha, qui était un des objectifs de mon dernier voyage à Madagascar malheureusement contrecarré par les intempéries, nous nous sommes rattrapées en le préparant en Bourgogne. Avec les grains de Café Robusta de Manaraha: torréfaction, préparation de la mouture, pardonnez-moi cependant, vous n’aurez pas l’odeur …

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